Marius MENUTEAU se souvient de la fin de l’écluse de Vire-Bouquette:

Entre les deux guerres, des écluses ont été abandonnées. La première fut celle de Vire–Bouquette.

En 1930 et 31, il n’y avait pas de sel, ni de vin. C’était la misère. À l’époque l’écluse était couverte d’huîtres. Tu donnais un coup de botte, tu remplissais un panier. Comme il n’y avait rien à manger, c’était toujours ça.

Un gars de Rivedoux est venu proposer d’acheter toutes les huîtres de l’écluse.

Les dix détenteurs, dont faisait partie mon père, ont accepté l’offre, à condition qu’il ne touche pas au mur. Il a donné 1000 F à chaque détenteur.

Il est venu décoller toutes les huîtres du mur. Certains disaient : « Il nous en laissera bien un peu » Mais non, il a tout nettoyé, même les petites ont été ramassées. L’hiver suivant il y a eu une brèche de sept à mètres. Le fond était en bri, la mer avait creusé un trou de deux mètres de profondeur. Les hommes ont récupéré des sacs de terre pour boucher afin de bâtir dessus. Les femmes sont allées, avec des charrettes, à La Grand-Banche chercher des pierres en passant par la Grande Vanne. Les hommes bâtissaient. L’année suivante une breche trop grande, pas réparable. Ils ont abandonné l’écluse.

Ils se sont partagé le mur. Mon père allait aux huîtres qui avaient repoussé et continuait à aller à l’écluse, même le mur écroulé. Je me souviens qu’un jour nous avons pêché une grosse raie et, une autre fois, j’ai rempli ma gourbeuille de meuils. De tout temps, les gens sont allés à Vire­Bouquette pêcher sur le platin de sable. Quand on allait au feu, la nuit, on pêchait de la sole, du turbot, des plies. On a pêché beaucoup de poissons.

Certains avaient des parts dans l’écluse, c’étaient les détenteurs officiels, responsables devant la marine. Mon père s’occupait de payer la redevance.

Les Allemands avaient interdit l’accès aux écluses pendant la guerre. Faute d’entretien, toutes avaient été abîmées. Le mur de Grand Grignon avait même servi de cible pour tester leur canon. Je l’ai vu. Après la libération, le ravitaillement demeurant préoccupant, trois furent remises en état.

La reconstruction de Grand Grignon

L’écluse de Grand Grignon avait été partiellement démolie.

En 1945, Manuel  Héraudeau  a dit « Nous allons reprendre cette écluse ».

Nous avons formé une bonne équipe d’une quinzaine de gars, toujours les mêmes. Des gens capables de bâtir, comme Jules Barbotin, Marcel Bougeois, Julien Rault, Roger Neveur, Edmond Aunis, etc. Les plus jeunes étaient contents qu’on fasse appel à eux, ils allaient chercher les pierres les plus grosses transportées sur des boyards. (Brancard en bois).

Les marées de maline, on faisait la fonte (partie la plus éloignée du rivage), au mort d’eau, le devant.  Les anciens y allaient tous les jours. On en fichait un coup, elle fut presque finie au bout de huit mois. Un jour, en avril, mon père me dit :

« Avant que la mer  monte, emmène donc un seau et va dans le fond ». René Héraudeau était avec moi. Il n’y avait pas encore de grille aux couis (ouverture dans le mur permettant l’écoulement de l’eau). Ça faisait un creux et, là, il y avait plein de meuils. On en a ramené pour donner à tout le monde. Pour une première marée, tu parles si ça nous a récompensés et encouragés à continuer ! Aussitôt Raoul Lucas et Jojo Goumard sont allés poser les grilles des couis, qui étaient prêtes. Comme on pêchait bien à Grand Grignon, on a décidé de construire le Jard en 1946.

Il y avait une grande solidarité, une bonne entente. Sur cet élan, ils ont alors eu l’idée d’entreprendre les écluses de Bernicarde. Maurice Babeuf avait fait une chanson «  Bernicarde mon amour ».

Ils ont terminé avec la reconstruction de l’écluse du Grand Nouron à Radia en 1946-1947.

Bernicarde mon amour

Sur l’ air des gars de la Marine

Refrain

Voilà Les gars de Bernicarde Notre écluse est terminée

Qu’est-c’que nous allons pêcher

Les touilles, les raies et les guignattes

Nous remplirons nos gourbeuilles

D’énormes chaudrées  de  meuils

Grâce à nous la population

Va se régaler de poisson

Voilà les gars de Bernicarde

Nous remplirons nos gourbeuilles

De formidables chaudrées  de  meuils

Premier couplet

Bernicarde notre amour tu viens de vo i r le jour

Maintenant tu vas durer toute  une éternité

Tu récompenseras au mieux tes douze gars

En leur faisant pêcher de formidables chaudrées

Refrain

Deuxième couplet

Maintenant qu’t’’es bien bâtie tu es bien plus jolie

Aussi tous les poissons restent en admiration

Lorsque dans tes deux bras tu les renfermeras

En criant à la mouée nous irons les pécher

 Refrain

 Maurice Babeuf