Cette page reprend un article écrit par Eric Le Gars dans le numéro 97 du Tambour d’Ars paru en juillet 2023

Si les moulins à vent ont été très nombreux sur l’île de Ré et que des vestiges sont encore visibles aujourd’hui, les moulins à marées sont pratiquement sortis de la mémoire collective rétaise. Leur nombre (une dizaine) et leur disparition précoce ont accentué ce phénomène. Pourtant leurs fonctions ont été prépondérantes pendant de longues années.

Intérêts des moulins à marée

Leur fonction principale est évidemment le broyage des céréales soit cultivées sur les bosses des marais comme l’escourgeon par exemple, soit importées par bateau comme le seigle ou le blé. Des profits importants en découlaient pour le propriétaire ou pour le farinier affermé.

Le marnage pouvait atteindre de 5 à 7 mètres. Dans les chenaux étroits et profonds de la côte nord de l’île, des forts courants se produisaient à marée descendante. En créant des retenues d’eau et en les libérant à marée basse, les chasses étaient encore plus puissantes et permettaient de refouler les sédiments qui obstruaient peu à peu ces chenaux, empêchant la navigation des navires. Les moulins à marées, par leur éclusage, remplissaient parfaitement ce rôle.

Les salines des îles d’Ars et de Loix nécessitent, dans le circuit de l’eau, de vastes réserves d’eau de mer (vasais) pour alimenter métières, vivres, nourrices… L’éclusage d’un moulin à marées remplissait parfaitement cette fonction et alimentait les prises des marais salants.

Enfin, dernière fonction moins connue, l’éclusage servait aussi d’haboteaux. Ce sont des petits parcs submersibles destinés à l’élevage de coquillages (essentiellement des huîtres).

Localisation

Tous ces moulins ont été implantés sur un chenal étroit ou au fond d’une baie où il était facile de construire l’éclusage, entouré de levées conséquentes pour contenir la pression de l’eau de mer. Ils sont situés sur la côte nord de l’île de Ré, à proximité des ports ou havres pour le commerce et ouvrant sur le Pertuis Breton, plus protégés des effets de houle.

Les moulins des Seigneuries d’Ars et de Loix

Leurs implantations sont sans doute très anciennes et remontent au peuplement des ces îles, au XIIème et XIIIème siècle, lors de la mise en valeur des terres par les moines de l’abbaye de St Michel en l’Herm. Ils ont incité des populations vendéennes à venir s’y installer qui ont dû rapidement construire des moulins pour subvenir à leurs besoins essentiels. La base de la nourriture, dans ce haut Moyen-âge, reposait surtout sur des céréales.

Trois moulins à marées ont été construits : ceux d’Ars et de Loix dépendaient directement du seigneur abbé de St Michel en l’Herm, celui du Martray dépendait du Prieuré St Etienne (paroisse d’Ars).

Le moulin à marées du Porteau (Ars en Ré) pour plus de détails cliquer ici

Ce moulin a été construit au fond du Fier d’Ars, sur un chenal conduisant dans un havre d’échouage près du bourg d’Ars. La plus ancienne date mentionnant l’existence de ce moulin est de 1628. Les premières salines ayant été érigées autour de ce chenal, il était essentiel de le maintenir en état pour alimenter les prises d’eau et permettre aux bateaux de circuler facilement pour commercer. Ce moulin était affermé, c’est-à-dire qu’un particulier obtenait les revenus et droits du moulin par un bail, en contrepartie d’une redevance versée au seigneur abbé. Ce bail était, normalement, d’une durée de 9 ans. Ce particulier sous-affermait (sous-louait) ce moulin à un farinier qui était chargé de l’exploiter. De plus, ce dernier devait maintenir l’éclusage et les haboteaux en bon état. Par contre les grosses réparations des bâtiments étaient à la charge du seigneur abbé propriétaire. Le moulin fut vendu comme bien national le 9 fructidor an IV (27/08/1796) au notaire d’Ars, Nicolas Masseau. Ce bâtiment, situé au niveau de l’écluse actuelle du Port-Village, n’existe plus aujourd’hui ; il a été rasé par l’administration en 1880 pour aménager le port.

Le moulin du Passage (Loix)

Ce moulin, situé au fond de la Fosse de Loix, est à l’entrée du chenal des Eveillards. Il est toujours visible aujourd’hui. C’est le dernier témoin de cette époque. A la différence de celui d’Ars, il a été construit à l’entrée du chenal, sur le port de Loix, afin d’assurer les chasses pour éviter l’envasement. Il appartenait également au seigneur abbé de St Michel en l’Herm et était régi par le même système d’affermage. En plus de rôles présentés précédemment, le farinier assurait également le passage des piétons, (on dirait aujourd’hui la continuité territoriale), entre La Couarde et Loix, sur son bateau ; d’où le nom du moulin. Devenu bien national lors de la Révolution, il ne sera pas vendu mais administré par la commune à cause de la servitude du passage. En 1828, ce moulin devient une laverie de sel jusqu’à la fin du XIXème siècle.

Carte montant l'emplacement du moulin de Loix
Document

Le moulin du Martray

Ce moulin présente la particularité d’appartenir, en propre, au Prieuré d’Ars en Ré. Comme les autres moulins à marées du Nord de l’île, sa fonction première était de permettre l’entretien du chenal du Martray par des chasses régulières afin de permettre le transport du sel produit dans les marais salants environnants.

Plusieurs fois ruiné, plusieurs fois reconstruit au cours des siècles, ce moulin a été affermé par bail emphythéotique (de très longue durée). Quatre familles vont se succéder : Jean Querquy jusqu’au milieu du XVIIème siècle, puis Jules Berthommeau à la fin du XVIIème. Ensuite le bail sera repris par Pierre Cornu et ses descendants. Enfin, sous la Révolution, c’est André Guillon qui en est le farinier. Il est à noter que le moulin ne sera pas vendu comme bien national au contraire des dépendances du prieuré d’Ars, à cause, justement, de l’existence de ce bail emphytéotique.

Il semble avoir fonctionné jusqu’au milieu du XIXème siècle.

Le bâtiment actuel
Carte du moulin du martray

Les moulins de la Baronnie

Le moulin de Dieppe (ou du Guiet)

Ce moulin appartenait à la famille Baudouin, sieur des Prises, grands propriétaires terriens et négociants, famille protestante. Il était situé sur la voie reliant La Couarde à Loix, sur la levée au fond de la Fosse de Loix. La plus ancienne date connue est 1595. Il semble avoir fonctionné jusqu’à la Révolution. Il a été tenu par une seule famille de fariniers : les Giraudeau qui se sont succédé de père en fils. Il a été acquis par arrentement : c’est-à-dire que le farinier devient (presque) propriétaire du moulin aussi longtemps qu’il paie une rente.

Le moulin du Goizil (ou Aguazé)

Appartenant également à la famille Baudouin, ce moulin, dont on a très peu de sources, se situait près du village de La Couarde. Affermé en 1676 au farinier Fournier, son activité périclite jusqu’au milieu du XVIIIème siècle pour disparaître complètement.

 

Carte des moulins de Dieppe et du Goizil

Les moulins de St Martin

Ces deux moulins à marée, mitoyens, ont joué un rôle déterminant pour l’entretien du port et du chenal de St Martin. Ils se situaient en bas de l’actuelle rue Sully, juste à l’entrée de l’îlot. Ils ont été construits en 1716 et ont remplacé une écluse aménagée à cet endroit. La grande retenue d’eau (actuel port de plaisance), servait de bassin de chasse. Ils ont très peu servi puisqu’en 1743, ils sont mentionnés en ruine et rapidement remplacés par une nouvelle écluse.

Carte d'implantation du moulin de Saint Martin
Plan du mécanisme

Le moulin de Rivedoux

Cas particulier sur l’île de Ré, le moulin de Rivedoux a été bâti en 1845 par la famille Boulineau. Il était encore en activité jusqu’à la fin de la 1ère Guerre mondiale. Ensuite, le trafic maritime du port de La Pallice a eu raison de son maintien.

le bâtiment actuel côté mer
Le bâtiment actuel côté terre
Affiche de vente du moulin

Le possible moulin à marée de La Moulinatte.

Bien qu’aucune trace ne subsiste au sol, ni aucun document n’atteste de son existence, il est possible qu’un moulin à marée ait existé à la prise de La Moulinatte. La toponymie est un indicateur. Il aurait servi à entretenir le chenal du havre de La Saline, servant au chargement des vins dépendant du domaine de La Cléraye. S’il a existé, il a très tôt été abandonné. Sans doute au cours du XVIème siècle.