Cette page est publiée à partir de l’article écrit par Michèle Jean-Bart qui est paru dans le numéro 76 du Tambour d’Ars de décembre 2012.  Pour les détails, nous vous invitons à vous replonger dans Ars mon beau village de René Brunet. )

Le mardi, c'est permis... le reste de la semaine aussi

Dans les traditions qui caractérisent notre village, MARDI GRAS en est une qui a bien changé.

Aujourd’hui, Mardi Gras se limite à quelques bêtises pas très chouettes : au mieux quelques volets décrochés, des poubelles déplacées. Au pire, les vitrines et voitures recouvertes de sigles (MG en 2011, quel intérêt ?), peinturlurées d’un mélange inconnu (… pas facile à enlever) au petit bonheur, la malchance… Plus très drôle en fait.

Les enfants, d’Ars et d’ailleurs, se déguisent encore ce mardi-là. Dans la commune, un petit défilé  est organisé le dernier jour pour l’enterrement de Mardi Gras. Sans doute un tribunal est prévu mais pour juger quels méfaits ? Aujourd’hui, ni pièces de théâtre, ni intermèdes musicaux, ni blagues de potaches pour tenter de piéger un tel ou un tel… Plus grand chose à voir avec autrefois.

Autrefois, c’était le bon temps racontent les jeunes gens (moyenne d’âge : 82 ans !) que nous avons réunis ce printemps 2012.

Mardi Gras était attendu comme on attend le soir de Noël ou que l’on compte attentivement les ricochets que fera son caillou sur l’eau… Il n’était pas question de rater ça, ni de ne pas réussir la semaine !

A cette époque, on n’avait pas de vacances... sous entendu fallait bien qu’on se défoule un peu !!

Pour les enfants qu’ils étaient, l’école se faisait d’octobre à juillet sans beaucoup d’interruptions. Une fois sortis de l’école, leur quotidien était fait de travaux agricoles principalement. Alors ! oui, il fallait bien trouver un moment où tout le village s’amusait !

Bombance avant le Carême…

 Avant que ne débutent les 40 jours du Carème et leurs privations, la veille du mercredi des Cendres, on faisait gras… d’où Mardi Gras ! On finissait les aliments gras. On arrête de manger des oeufs. On en profite pour  faire des crêpes. C’est l’époque des merveilles.

Toute la semaine associée au Mardi gras est une période de joie et de liberté où les règles de vie normale sont suspendues. Pendant une semaine, chacun fait un peu comme il lui plaît : on se déguise, on mange (presque tout ce qu’on veut… le carême a commencé !), on fait des blagues. On fait du théâtre ! Une belle occasion de s’amuser (presque) sans limite. Dans un bon état d’esprit, joyeux et amicalement vengeur.

Les casserons ne dérogent pas à la règle, en font même une institution.

C’est simple… Mardi Gras… C’était notre fête nationale ! C’était la semaine sacrée…Y avait qu’les gens qui étaient en deuil qui ne faisaient pas Mardi Gras.

Ici, on ne se rappelle pas quand et comment est véritablement né Mardi Gras et tout ce qui s’en suit. Ce qui est sûr, c’est que les parents, voire même les grand parents de nos anciens faisaient dejà mardi gras.

Faire mardi gras…

Tout commençait aux mois calmes de l’hiver. Des équipes sont organisées. Par bandes de copains de 7 ou 8. Exclusivement des garçons, des célibataires, agés de 14 ans à … l’âge de partir au régiment.

Etant gamins,  on allait se baigner ensemble, on jouait au ballon ensemble, on jouait aux cartes le dimanche… Les équipes se formaient donc toutes seules, par classe d’âge.

Les filles, elles, n’étaient que « spectatrices » pendant cette semaine, même si certaines, faisaient des petites blagues… En tous cas, pas question pour elles d’être organisées en « société » comme les garçons.

Une équipe, en particulier, avait la charge d’animer toute la semaine. Grâce à l’argent gagné avec les pièces de théâtre, entrées payantes s’il vous plait, ils occupaient une maison du village pour toute la semaine. Une bande de gamins dans une maison pendant une semaine ? Grand luxe, ils s’octroyaient les services d’une cuisinière.

On animait la population… alors on avait bien le droit d’avoir quelques sous !

se défend Emile. On faisait salle comble… renchérit Michel. Edmond se souvient :

avec les sous, on allait acheter ce qu’il fallait pour manger. La cuisinière préparait et nous, on venait manger !

Et Marcel de raconter :

Une fois, juste avant la guerre,avec le théâtre du mardi et du mercredi, on a pu faire toute la semaine… Y avait même de l’argent de reste. Avec çà, on s’est payé une sortie à la foire de La Rochelle. C’etait la première fois que Julien Rault allait sur le continent !

 

L’hiver, donc, après Noël, le choix des pièces de théatre et les premières répétitions commencent.

C’était Grand Babet’ (le père Babeuf) qui s’occupait du théatre : quelqu’un de très dévoué et très patient. Il nous apprenait à bien parler. Il a fait ça pendant plus de 20 ans.

Les pièces étaient souvent des vaudevilles (Labiche par exemple). Des pièces en 1 ou 3 actes. Il y avait 2 ou 3 pièces par spectacle. Le père Babeuf distribuait les rôles. Pas question qu’on choisisse. Des fois, un acteur en herbe avait plusieurs rôles :

Moi, une année, raconte Marcel, y avait 6 pièces et moi j’avais 5 rôles !

Les rôles, y compris féminins étaient tenus par les garçons… jusqu’en 1957 où Josiane a remplacé son fiancé parti au service en Algérie. Une fille dans la troupe ?

Si je n’avais pas pris le rôle, la pièce ne se serait pas faite. Impensable !

Une fois la distribution définie, on apprenait nos rôles. Michel témoigne :

Moi en roulant du fumier, sur la charrette, j’apprenais mon rôle.

Emile, lui, confie une autre technique

Fallait recopier nos rôles… déjà comme ça, rien que de l’écrire on l’apprenait par coeur.

Et les répétitions commençaient.

 

1930
Un groupe de théatre vers 1930
Affiche de théatre

Demandez l’programme!

Le jeudi précédant la semaine de mardi gras, les enfants, vêtus de blanc et le visage recouvert, faisaient le tour des maisons pour récupérer des œufs et de la farine.

Le lundi soir , les jeunes gens, montés sur un char, parcouraient le village et annonçaient à grand renfort de musique le programme des festivités. René Brunet précise que cette déambulation était l’occasion de repérer les maisons où se réunissaient les sociétés (les équipes, ndlr) afin de pouvoir leur rendre visite… sous entendu y faire des blagues.

Le mardi et le mercredi étaient les journées réservées aux pièces de théâtre. Souvent la pièce du mardi était drôle. Déjà le mercredi ça devenait plus sérieux ! C’était les parents qui tenaient la caisse.

J’les vois encore, assis derrière la fenêtre, dans la venelle.. et puis c’était salle comble tous les soirs !

 Les pièces se jouaient l’après-midi dès 15h jusqu’à 18-19h ! Et après, à partir de 20h, il fallait tout débarrasser (ôter les bancs, etc) et y avait Bal. Le bal ne durait pas longtemps car après, il fallait aller manger ! Y avait même pas de buvette ! Mais par contre, il fallait bien arroser les musiciens…et c’était pas de l’eau de roche !

Après le bal, les gens rentraient. Sauf que, entre les pièces de théâtre et le bal, il y avait un laps de temps où il n’y avait personne dans les maisons. et c’est là que les équipes commençaient à faire les blagues.

 Le jeudi, c’était la Noce aux Masques. Un drôle de mariage (2 garçons jouaient les mariés) était organisé. Ce joyeux cortège faisait le tour du village, accompagné par la musique.

Ce jour était aussi le jour des critiques, le jour des « vérités », un jour où les petits secrets, aussi masqués que les jeunes gens, sortaient du chapeau…

Le vendredi, repos pour se refaire une santé. Les uns partent à la pêche, les autres partent à Saint Martin chercher le cadeau pour Victor (le Grand Babet’).

D’autres allaient animer le bal d’Eddie Bouton où on allait traîner aux Portes. On partait à vélo et on rentrait pas très frais. Jojo s’est même cassé la goule avec sa trompette toute neuve. D’autres partaient en B2 jusqu’à Sainte Marie pour annoncer les festivités et prendre un petit pineau de maison en maison. Complètement pompettes, sans phares, ni lumière sur la route, le chauffeur roulait à gauche pour suivre la berne… mais ils sont quand même rentrés !

Le samedi soir, c’était le bal masqué, après souper. Un temps, un jury élisait le meilleur déguisement.

Et arrivait le dimanche. Le jour du Jugement où tout se dévoilait, tous les crimes qui s’étaient déroulés les jours précédents. Le tribunal était organisé avec procureur, avocat de la défense et président.

La foule devait bien rire de cette parodie judiciaire en découvrant qui avait fait quoi !!! Et cet heureux tribunal finissait par condamner Mardi Gras à la sentence du bûcher.

Mariés rétais année 1926
1950
Chevaliers de la lune environ 1926
Tribunal de mardi-gras 1937 (photo Julien Caillaud)

Drôles de crimes, crimes de drôles

 La place manquerait pour raconter toutes les bêtises faites pendant ces années-là. Dans le désordre, imaginez un peu… Pas de noms même s’il y a prescription !

Nous, on avait loué une maison rue Thiers, en face de chez Mme Recordon. Notre cuisinière, la mère La Sole était venue nous trouver pour nous demander ce qu’on voulait comme dessert. On avait dit : Des crêpes ! Nous, on est parti jouer notre pièce.

Sachant qu’il y avait un risque qu’une équipe de voyous (rires) viennent voler les crêpes, la cuisinière, rusée, avait dit « Vous passerez par la porte de derrière, comme ça, je ferme la porte de devant et je pourrais pas me faire voler » sauf que… une autre équipe a été plus rusée : l’un d’eux a frappé à la porte de devant. La mère La sole criait « Fais le tour ! Fais le tour ! Passe par derrière ». L’autre continuait de frapper à la porte de devant. Elle a fini par aller ouvrir. Le « voyou » lui a causé un peu. Peu après, ils ont recommencé une fois… Quand elle est retournée à sa cuisine y avait plus de crêpes. Le reste de la bande avait tout raflé !

 

Un jour, on arrive chez une équipe et sur la table, il y avait un beau plat de guignettes. J’attrape le plat et je me mets à courir avec le plat de guignettes. On est rentré dans notre maison avec l’idée de se régaler… oui, sauf qu’elles étaient déjà mangées du soir… y avait plus que les tayes (coquilles) bonnes à remplir les gasseuilles (ornières). Ils nous ont eu !

 

Un soir, pendant la guerre, c’était le couvre-feu. On pouvait pas sortir, enfin soi-disant. Pour passer l’temps, on a meublé en jouant à pigeon-vole. Le gage : se servir d’un gobelet rempli de vin blanc. Y en a un qui a pris 5 ou 6 gages de suite… Lui qui buvait que de l’eau. Il est parti se coucher parce qu’il était ivre mort … On a même été cherché la soeur Ange. Jean s’en est sorti.il est toujours là ! Comme on faisait plus rien.. on a décidé d’aller réveiller les vieilles filles. Michel a sauté le mur et il est revenu avec l’âne ! Les demoiselles sont rentrées dans notre maison, mais on s’etait caché ! Michel a voulu rentrer chez lui malgré le froid et le couvre- feu. Il en avait salement son compte. Il a pas été plus loin que la p’tite gare. Il a dormi là. Et il s’est reveillé que le lendemain matin !

 

Après souper, on faisait le tour des sociétés. On était bien déguisés. Il ne fallait pas qu’on nous reconnaisse pour pas se faire engueuler par nos parents ! Le plaisir c’était d’essayer de faucher quelque chose chez une autre équipe. Une fois, chez l’équipe à Sourbier-Courcier, y avait un beau plat de choux-fleurs. Pendant qu’y en avait un qui causait, l’autre a attrapé le plat de choux-fleurs et puis il s’est barré ! Le lendemain, on avait été aux pétoncles. Ils sont venus nous voir… Plus de pétoncles !

 

Un jour, pour commencer on avait piqué à l’équipe des jeunes des petits pois. On fanfaronnait en chantant « les petits pois ! Les petits pois ! ». 2 jours après, le facteur amène un colis, avec des faux timbres, adressé à « l’équipe des bouffe-tout », nous ! Dans le colis, y avait une poule, la tête, les plumes, les ailes et en dessous, un oeuf gobé ! C’était bien foutu ! Marcelle arrive Oh ! on dirait ma poule ! Elle court voir dans son poulailler : il ne restait plus que les œufs !

 Et puis les jeunes gens ont grandi, se sont mariés. Les sociétés ont un peu continué. A leur tour, les enfants ont pris le relais. Mais les nouveaux rythmes de vie ont compliqué l’organisation d’une telle semaine.

Il n’en reste que des souvenirs qui font toujours autant rire nos anciens…

Les mots, écrits, ne peuvent pas toujours traduire les émotions.

Le mieux est de vous inviter à poser la question aux anciens. Demandez leur donc les histoires de Mardi gras. Demandez-leur donc de vous parler de l’histoire du changement de barriques entre les négociants de vin, d’une pêche miraculeuse dans les métières de Lolo, des poubelles renversées partout dans la cuisine. Demandez-leur de causer des anguilles du père Thoberck. Ecoutez les parler de l’année 1956. Des bagarres de boules de neige. De la cheminée du père Nannat’ qui avait été bouchée… Des bottes en bois de Lucien…

 

Pleins d’histoires croustillantes dont vous devriez vous régaler !