Le temps des guerres de Religion

La contestation d’une Église oublieuse de ses devoirs premiers de pastorale et de charité envers les pauvres, plus soucieuse de ses intérêts matériels que du salut de ses fidèles, recueille l’adhésion de la population dans l’île aussi bien que sur le continent. Les Rétais écoutent les prédicateurs qui prêchent les idées de Luther et de Calvin et adhèrent à la Réforme, comme les habitants de la puissante cité voisine. L’île est en effet trop proche de La Rochelle et elle lui est trop liée sur le plan économique pour échapper à l’emprise de la grande cité huguenote. Les idéaux de la Réforme s’y sont diffusés rapidement, surtout dans les milieux du négoce et de la population maritime. En 1560, l’Église de Genève, devenue la capitale du monde protestant, tout au moins du monde protestant calviniste, y envoie son premier pasteur, Germain Chauveton, originaire de La Châtre. Il restera quarante ans à la tête de l’Église de Ré et dès 1561, on le voit célébrer les premiers baptêmes.

C’est avec le coup d’État municipal mené à La Rochelle en 1568 par son jeune maire, François Pontard, que la ville bascule dans le camp protestant et l’île de Ré avec elle. S’ouvrent alors les désastreuses guerres de Religion qui vont désoler le royaume pendant des décennies. De 1562 à 1598, huit guerres vont se succéder sur une durée de 36 ans, entrecoupées de périodes de paix fragile. Elles s’achèvent avec l’édit de Nantes (30 avril 1598) qui établit une dualité confessionnelle[1].

Sur le continent proche, ces guerres seront calamiteuses pour l’abbaye de Saint-Michel-en-l’Herm. Après la prise de Fontenay, en septembre 1568, les protestants mettent le siège devant le monastère. La défense est acharnée, les assauts repoussés à plusieurs reprises et devant le nombre d’attaquants les religieux rompent les écluses et inondent le pays. À force de battre les murs et sur les indications de traîtres, qui signalent la faiblesse de la muraille du cloître, les protestants finissent, en décembre, avec l’artillerie, par pratiquer une brèche assez large. Les soldats massacrent sans distinction toute la population réfugiée dans le monastère, hommes, femmes et enfants, environ 400 personnes dont des religieux rétais, peut-être les moines du prieuré-cure d’Ars ? Un énorme butin d’argenterie et objets d’art est pillé, les lieux conventuels ruinés et abandonnés pendant seize ans [2].

Sur les deux grandes îles charentaises, Ré et Oléron, la situation des insulaires est difficile. L’une des préoccupations premières des nouveaux dirigeants rochelais consiste à s’assurer du contrôle de l’île de Ré : le nouveau gouverneur de La Rochelle, Saint- Hermine,  fait de la cité une citadelle protestante en établissant dans la ville une stricte discipline militaire et en renforçant ses fortifications. Il dépêche des troupes qui s’emparent de l’île sans difficultés. De leur côté, les chefs des troupes royales s’efforcent de reprendre le contrôle des deux provinces et de verrouiller les pertuis pour isoler La Rochelle ; Blaise de Monluc monte alors une expédition maritime pour chasser les protestants de Ré ; les troupes royales débarquent, après une première tentative infructueuse, sur le platin près d’Ars et s’emparent de la totalité de l’île. Puis, elles poursuivent les protestants qui se retranchent dans l’église de Saint-Martin, le « Grand Fort de l’église », et parviennent à forcer les portes de l’édifice. Tous ses occupants sont massacrés.

Si la paix de Longjumeau, signée le 23 mars 1568, rétablit une paix précaire, le roi est désormais maître de l’île et cette possession facilite l’encerclement par les troupes royales de la place de La Rochelle, qui subit en 1572-1573 un long siège conduit par le frère du roi en personne, le duc d’Anjou, futur Henri III. Mais la cité huguenote, aux fortifications considérablement renforcées, résiste et le siège est levé lorsque le duc d’Anjou apprend son élection au trône de Pologne.

En mars 1574, François de La Noue réussit à déloger les troupes royales restées sur l’île dont il se rend maître et qu’il contrôle désormais, notamment après l’échec de l’expédition catholique de septembre 1575 commandée par le sieur Landreau à partir des Sables-d’Olonne. Les catholiques de l’île sont privés de la liberté de culte, le catholicisme est en effet interdit, leurs églises et chapelles pillées et ravagées. Ainsi, presque toutes les voûtes de la vieille église de Sainte-Marie sont rompues, le prieuré de la Cleraye, au Bois, dépendant de l’abbaye de Saint-Michel-en-l’Herm, est ravagé et ne s’en remettra pas, et l’abbaye des Châteliers est pillée une nouvelle fois ; incendié, l’édifice en ruine est abandonné par ses moines. Quant à la belle église de Saint-Martin, elle subit des dommages irréparables, mais on conserve l’édifice comme forteresse de repli ; suite à ses désordres, en 1586, le portail, le chœur et les voûtes de l’église s’effondrent. Les pierres serviront à édifier une tour de défense sur le port de Saint-Martin comme le rapporte le notaire Nicolas Herpin [3].

A Ars, les protestants du lieu, se sentant protégés et maîtres du bourg, abattent le manoir prieural attenant à l’église et n’en laissent que ruines. Même si les textes restent muets, l’église n’a pu que souffrir de désordres importants. La nef, la façade ouest et la croisée du transept de l’église romane ne semblent pas avoir subi de dégâts majeurs, par contre il est probable que l’abside et ses deux absidioles aient été endommagées et peut-être aussi la flèche du clocher, symbole du lieu et visible de très loin.

La messe ne sera plus dite avant 1585. À partir de cette date, l’île va connaître une période d’accalmie et un renouveau économique qui perdurera jusqu’à la mort de Henri IV. Cette prospérité se traduit par une fièvre de construction qui stupéfie les contemporains : le notaire Herpin [4] note ainsi qu’en une décennie, entre 1586 et 1596, il se construit dans l’île presque autant de maisons qu’elle en possédait auparavant. De même, en quatre années seulement, avant 1599, quatorze moulins à vent sont édifiés à Saint-Martin et sur le territoire de la paroisse et une vingtaine dans celle d’Ars. La paix revenue, la présence catholique est réaffirmée : érection de la paroisse de La Flotte (1598), nomination du premier curé d’Ars, Guillaume Pinaud (1601-1617), mais aussi la possibilité pour les protestants d’édifier des lieux de culte : inauguration du temple de Saint-Martin par le vieux pasteur Chauveton (1599), premier prêche dans le nouveau temple que les Réformés viennent de construire à Ars « près et derrière le grand temple du lieu [l’église] … » (6 janvier 1604) [5].

Des travaux importants sont rapidement engagés dans toutes les paroisses pour effacer les traces des destructions qui ont affecté les églises. Seuls, l’abbaye des Châteliers, le prieuré de la Cleraye (au Bois) et le prieuré Saint-Sauveur (à Sainte-Marie) ne seront pas relevés. Une visite pastorale de 1610 montre, qu’à cette date, toutes les églises paroissiales de l’île ont recouvré leur toiture, à l’exception de celle de Saint-Martin. En revanche, si les murs sont rétablis rapidement, la décoration des sanctuaires apparaît encore bien modeste puisque la visite de 1610 ne mentionne qu’un tableau pour toutes les églises de l’île. La priorité consiste en effet à relever les murs, à refaire les couvertures des églises et à acquérir des objets de culte indispensables. Cet effort sera toutefois ruiné par la reprise du conflit à partir de 1621.

On aurait pu penser que le prieuré-cure d’Ars aurait bénéficié de l’aide financière de l’abbaye-mère pour réaliser les travaux. Or, depuis la signature du concordat de Bologne entre le pape Léon X et le représentant de François Ier, lors du Ve concile de Latran en 1516, la gestion des abbayes sous le régime de la commende est autorisé. Dès cette date, l’abbaye de Saint-Michel-en-l’Herm devient royale et passe sous ce régime, c’est-à-dire que l’abbé commendataire, nommé par le roi, se contente d’en toucher de conséquents revenus sans y résider. Or, les lieux ont beaucoup souffert des guerres de Religion et les bâtiments sont ruinés. Un essai de restauration est entrepris de 1589 à 1606, par les religieux, malgré la volonté de l’abbé commendataire, Charles de Bourbon. Son successeur, Marien de Martimbault, au contraire, y est favorable, mais le partage de la mense (le revenu distribué) entre l’abbé commendataire et les religieux ne leur laisse pas de ressources suffisantes pour vivre et rebâtir, encore moins d’aider leurs prieurés. En 1651, Mazarin – se considérant comme très généreux – écrit avoir régulièrement versé 200 livres par an à chacun des seize moines de Saint-Michel-en-L’Herm, soit 3 200 livres ; le revenu abbatial est alors estimé à 100 000 livres, somme considérable !

Sur l’île, le régime de la commende s’applique aussi au prieuré-cure d’Ars-en-Ré que les religieux ont déserté au cours des guerres de Religion ; ils n’y reviendront plus. À la fin du XVIe siècle, seul demeure un prieur-curé qui assure le service religieux ; un curé desservira l’église à partir de 1601. Tandis qu’un fermier laïque gère les revenus temporels (salines : 126 livres à Ars et 20 à Loix [6] soit près de 50 hectares, vignobles …) directement pour le compte de l’abbaye mère. Il demeure dans une vaste propriété dénommée « l’Abbaye » (actuellement entre la rue du Havre et la rue de la Baie, « l’abbaye » en parlé rétais) comportant « d’immenses » dépendances dont quatre celliers et un pigeonnier.

Chaque paroisse possédait ses biens propres, gérés par quelques fidèles, les fabriqueurs , ce qui permettait une participation indirecte des laïcs à la vie cultuelle. Dans le diocèse de La Rochelle, Louis Pérouas [7] constate qu’avec des ressources annuelles qui varient de 20 à 100 livres (Loix 80 livres) quelque 120 paroisses pouvaient vivre. Les autres, soit plus de la moitié, recueillaient seulement quelques livres, souvent même à peu près rien. Seules une trentaine de paroisses étaient riches avec un revenu supérieur à 100 livres dont Ars-en-Ré avec un revenu de 1 000 livres, le double en 1719 [8].

Les prieurés possèdent également des revenus propres. Pour Ars, sous le régime de la commende, les profits remontent directement à l’abbaye mère. Par contre, le prieur-curé – puis le curé à partir de 1601- exploite, au titre de la prébende, un marais salant de 46 livres (environ 15 hectares) dont les revenus servent à maintenir son train de vie et à entretenir l’église.

Au milieu du XVIIe siècle, le revenu annuel moyen des prieurés étaient de l’ordre de 500 à 1200 livres, même si quelques-uns ne procuraient qu’une centaine de livres par an ; d’autres fournissaient à leurs titulaires jusqu’à 7 000 livres [9] comme celui d’Ars-en-Ré. Largement doté, ce prieuré-cure pouvait engager des travaux de restauration importants sur l’église et envisager son agrandissement et, ce, dès la fin du XVIe siècle, ce qui expliquerait les deux premières travées du vaisseau central, plus étroites et de construction moins soignée que les suivantes.

Dans le régime de la commende, un ecclésiastique ou un laïc tient une abbaye ou un prieuré in commendam, c’est-à-dire en percevant personnellement les revenus de celui-ci, et, s’il s’agit d’un ecclésiastique, en exerçant aussi une certaine juridiction sans toutefois la moindre autorité sur la discipline intérieure des moines. À titre d’exemple, Charles Ier de Bourbon, prince de sang, aura été abbé commendataire de plus d’une vingtaine d’abbayes et Mazarin de vingt et une !

Sous l’Ancien Régime, l’église est entretenue et ses biens gérés par la fabrique. Ce mot désigne à la fois tout ce qui appartient à une église paroissiale et le corps de ceux qui administrent les biens qu’on appelle les marguilliers ou fabriqueurs. Le nombre des membres de la fabrique varie d’un à quatre, ils sont élus par l’Assemblée générale des habitants.

La prébende est la part de biens prélevée sur les revenus d’une église et attribuée à un clerc pour sa subsistance et en compensation du ministère accompli. Les prébendes disparurent en France à la Révolution.

 

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