Maryse, petite fille de vigneron nous raconte l’activité de son grand-père.
La vigne est l’une des principales activités locales depuis le moyen âge. Les rétais rentraient leur vendange au chai puis vinifiaient pour vendre leur vin à des négociants. Ce vin était exporté pour être distillé ou faire du vinaigre.
Depuis 70 ans les chais ont perdu peu à peu de leur utilité, la cave Coopérative fondée en 1950 collecte désormnais les vendanges. Actuellement, les ventes et les rénovations des maisons contribuent à leur disparition.
Sur les trois chais restants, un, daté de la fin du 19è siècle est authentique:celui de mon grand père Marcel HERAUDEAU (dit Bon Dieu) qui l’avait hérité de ses parents.
Mes aïeux cultivaient la vigne de mars à septembre puis c’était vendange.
Aujourd’hui mes souvenirs me permettent de vous raconter la vie de ce chai.
Tout au long de l’année, le vigneron entretient ses outils et prépare son chai :
- Dès qu’elles sont vides, les barriques sont rincées ; la gravelle (cristaux formés par la lie du vin) est nettoyée par l’introduction d’une chaîne fixée par une corde à la bonde dans le tonneau et roulée en rythme pour gratter l’intérieur. Puis elles sont méchées avec des bandes soufrées pour ôter les moisissures ,enfin les douelles sont rejointées avec du mastic à barrique et les cerclages sont contrôlés.
- Le treil et le timbre sont rincés à l’eau claire
- La vis du pressoir et son dispositif à cliquets sont graissés.
- Les basses sont nettoyées, et les cerclages vérifiés.
- Les outils sont propres et opérationnels.
Ce matin d’octobre, Papi vendange, le raisin est mûr depuis plusieurs jours.
Les grappes sont cueillies à l’aide d’un sécateur ou d’un couteau, puis déposées dans les baquets. Quand ceux-ci sont pleins, ils sont versés dans les basses.
Les grappes de raisin dans les basses sont foulées à l’aide d’un pilon pour éclater les grains et donner le jus de raisin appelé moût.
Les vendangeurs aiment boire ce moût,un jus très sucré… avec modération!
Les basses sont transportées sur un boyard jusqu’en bout de virée puis hissées sur la charrette (une pleine charrette portait 16 basses par voyage). Direction le chai .
Au chai, les basses sont versées dans la grande cuve pour que le moût fermente : « la vendange est à bouillir ». Cette fermentation, transformation du sucre en alcool, commence au bout de 24 heures et dure 3 à 6 jours selon la température de la vendange, du chai et la teneur en sucre du raisin.
C’est à cette étape que le tanin de la peau du raisin colore en rouge le moût;c’est la macération pelliculaire.
Précisons, que c’est la procédure pour le vin rouge. Pour le vin blanc on passe directement au pressurage.
C’est ensuite le pressurage.
Ce mélange fermenté est versé dans le treil . L’amas de grappes est disposé autour de la vis du pressoir en forme de cube d’un mètre de surface : c’est la treillée. Papi « construit sa treillée » avant d’installer la garniture du pressoir. Il pose d’abord les 2 aiguillettes aux extrémités du volume (planches plates 10cm x1m.), puis le plancher recouvre toute sa surface ; viennent ensuite les 8 gorons croisés (madriers de bois d’1 m.), enfin les 2 gorets (pièces de bois s’encastrant autour de la vis) sur lesquels le pressoir à cliquets s’ajuste.
Déjà avec le poids de la garniture, le jus de raisin coule dans le timbre.
Une grille en cuivre filtre les pépins et les pulpes.
A l’aide de la barre, on visse petit à petit pour écraser la vendange ; on dit « serrer la treillée ou souquet ». Le volume s’écrase et les bords «bousent ».
Le jus coule dans le timbre (citerne cimentée creusée dans le sol) jusqu’à ce qu’il se tarisse; alors , on fait une pause (le temps du repas : 2h environ) pour laisser égoutter.
Au retour, Papi enlève les bois ou garniture dans l’ordre, il laboure la treillée avec le croc ou le pic, il coupe le bord des 4 côtés avec la bêche (on dit :«bêcher la treillée »). Ces tranches de coupe sont disposées sur le haut du tas.
Papi réinstalle tous les bois dans le bon ordre afin de procéder à une seconde pression. Il laisse égoutter toute la nuit.
Le lendemain matin, on enlève de nouveau la garniture pour les ranger dans l’ordre le long du mur.
Papi découpe ce cube compact de râpe (rafles et peau des raisins) toujours à l’aide de la bêche,en pains de 10×20 cm et les sort du cellier- on dit :«jeter la treillée ». Ces pains sont ensuite recoupés. Cette fumure organique est étendue dans la vigne ou le jardin.
(Certains stockaient la râpe dans une cuve en bois, allongeaient avec de l’eau pour faire de la piquette)
Ce pressoir-ci n’a pas de ficelle ou claie,la treillée est carrée.
Le vin.
Ce moût fermenté stocké dans le timbre est transvasé dans les fûts à l’aide d’une canne et d’un entonnoir ou pompé .
Les barriques pleines, posées sur des tains ne sont pas fermées par des bondes puisque le vin continue de bouillir pendant 10 jours.
Pendant ces jours de fermentation, le niveau de chaque fût diminue par évaporation de l’alcool et par fuite des douelles (on dit« des renards»). Papi complète alors très régulièrement ses barriques avec du vin nouveau (on dit : «houiller» les fûts).
On tire le « vin nouveau»,appelé aussi «bourru». La tradition voulait que ce vin nouveau se boive avec un pain à l’anis.
C’était l’occasion de réunir et remercier les vendangeurs.
Lorsque la fermentation est terminée, il bonde les fûts.
Alors le temps fait son œuvre : tous les 3 mois, le vin est« soutiré». Papi le transvase dans un autre tonneau pour l’aérer. Le vin est tiré par le jo pour remplir les touques. Son petit vin est cette fois bon pour être bu.
Papi a maintenu l’activité de son chai jusqu’en 2000.
Pour ce rétais ,sa vigne, son chai, son vin et son pineau, c’était le cycle de la vie et les racines de l’histoire familiale. Il nous a permis – à nous ses petits enfants – de vivre cette histoire, de participer aux vendanges, de partager les activités du chai. Nous étions si heureux de le regarder, de faire avec lui et d’être ainsi les gardiens actifs de notre patrimoine.
Maryse Le Gars