L’agrandissement de l’église au XIIsiècle

Au XIIe siècle, le village s’est développé à proximité des salines nouvellement créées. Avec la mise en valeur du territoire la population n’a pu que croître nécessitant un agrandissement de l’église. Ce développement est aussi à mettre en regard de la très forte croissance de l’abbaye de Saint-Michel-en-l’Herm sous la protection du puissant seigneur Savary de Mauléon [1] dont les terres s’étendaient de Châtelaillon aux Sables-d’Olonne comprenant la partie est de Ré. Protecteur de l’abbaye, il étendit considérablement son domaine, la fortifia et lui permit de devenir un acteur économique majeur dans le commerce du sel par des possessions formant un réseau marchand dense et efficace.

On ne connaît pas la date de fondation du prieuré Saint-Étienne, ni celle de la paroisse qu’il desservait, mais celle-ci fut probablement parmi les plus anciennes de l’île. La lettre de Bernard, évêque de Saintes, portant refondation de l’église de Loix le 7 juillet 1379 précise que

« les habitans du lieu [ …] jadis paroissiens d’Ars [ …] avons […] de nouveau fondé une eglise parroissialle […] distincte de ladite eglise d’Ars […][2] ».

Une première paroisse avait été fondée le 13 juillet 1318 [3], mais n’avait jamais eu de réalité probablement pour des raisons économiques (guerre, épidémie …). Or, à cette date, le village de Loix dépendait de l’église d’Ars. La création de la paroisse d’Ars par l’évêque de Saintes est donc antérieure à cette date et, ce, probablement depuis quelques décennies. On peut envisager l’érection de la paroisse d’Ars dans la seconde moitié du XIIe siècle, le prieuré devenant alors prieuré-cure, un moine assurant l’office de curé. La paroisse Saint-Étienne comprend alors tout l’ouest de l’archipel rétais : Ars, Loix, érigée en paroisse en 1379, Les Portes (en 1548) et les « villages d’Ars » seulement en 1844.

Il est tout à fait concevable que l’agrandissement de l’église primitive soit contemporain de l’érection de la paroisse d’Ars. Yves Blomme [4] qui fait autorité dans ce domaine et Yves-Jean Riou [5] datent, tous deux, ces travaux du troisième quart du XIIe siècle. Par ailleurs, le chantier de restauration, débuté en 2017, a permis de mettre à jour des vestiges d’enduits et de peintures originelles. Ainsi, dans le bras nord du transept, un dessin de faux joints confirme la datation de cette partie de l’édifice. En effet, au XIIe siècle, les édifices sont couverts à l’intérieur et à l’extérieur d’enduits réalisés à la chaux sur lesquels on trace le plus souvent, au pinceau, un appareillage de pierre fictif brun rouge sur fond blanc ou jaune clair [6]

Plan de l'église au XII ͤ siècle
Coupe de l'église au XII ͤ siècle

À cette époque, les murs de l’ancienne nef ont été surélevés et renforcés intérieurement par de puissants massifs destinés à recevoir la totalité des poussées de la voûte. Les ogives de ces voûtes bombées sont ornées de chevrons, de demi-besants opposés ou de chaînettes entre deux tores. Du transept roman, édifié à la même époque, subsistent la croisée sous clocher, coiffée d’une coupole surmontée d’une tour carrée, l’essentiel du bras sud et une portion plus difficile à définir du bras nord. La partie est de la nouvelle église se terminait par une abside entre deux absidioles ; lors des travaux récents de restauration, l’ancrage de l’absidiole nord-est sur le bras du transept a été retrouvé.

L’inspiration angevine, de cette architecture est particulièrement remarquable. Elle transparaît nettement dans la forme bombée des voûtes – dont la clé est plus haute que les arcs doubleaux et formerets – ainsi que dans les thèmes ornementaux utilisés : entrelacs, chevrons, fleurettes. Si, d’une façon générale, les voûtes gothiques reposent sur la technique de la croisée d’ogives qui permet d’alléger la construction et de se dispenser de coffrage, dans le type angevin, elles sont bombées et les nervures ont pour fonctions supplémentaires de recouper les angles, d’enrichir le dessin et de produire de nombreuses clefs et consoles sculptées : l’ogive crée alors une nouvelle relation entre la sculpture et l’architecture [7]. Cette architecture est révélatrice de la diffusion des idées créatrices au XIIe siècle et notamment de ce premier art gothique original.

 

@Jacques Boucard

La façade occidentale, elle aussi largement reprise au cours du XIIe siècle, s’ouvre par un ample portail à quatre voussures entre deux minuscules arcades aveugles. On y retrouve les chevrons de la seconde croisée d’ogives ; les autres voussures s’ornent de palmettes et de fleurs à huit pétales. Les seize chapiteaux des colonnettes des piédroits, outre de belles variations sur le thème de l’acanthe, sont peuplés de chimères, d’oiseaux et de félins affrontés ou grimpés les uns sur les autres ; répertoire des plus classiques qui, joint à la brisure de l’arc du portail, ne permet guère de retenir une date haute dans le XIIe siècle. Une corniche à neuf modillons, parmi lesquels quatre masques, un coq et le cancer, couronne le quadrilatère orné de ce frontispice qui a retrouvé ses proportions d’origine depuis le dégagement de la partie ouest de l’édifice [8].

 

@ Archives départementales de la Charente-Maritime
Détail @Jacques Boucard

Reste la flèche. Au XIIe siècle, le clocher au-dessus de la coupole est carré. À la fin du XVe siècle sera monté une flèche gothique qui offre quelques ressemblances avec celles de Sainte-Marie-de-Ré et Moëze. Dès l’origine, elle sert d’amer comme en témoigne Le Grand Routier, un ensemble d’instructions nautiques rédigées en 1483-1484 par Pierre Garcie dit Ferrande, originaire de Saint-Gilles-sur-Vie, et publié pour la première fois en 1502. La faible épaisseur des murs ne permet pas d’y placer un escalier en colimaçon. Dans ce cas, on construisait généralement une tour extérieure dans laquelle se situait l’escalier. Ce n’est pas la solution retenue ici ; on a préféré bâtir un escalier droit extérieur, protégé par un mur ouest en élévation sur plus de deux mètres. Le Docteur Kemmerer a relevé, vers 1868, que « la pierre du jambage de la porte qui conduit à la tourelle portait une date gravée dans son épaisseur : 1296. Elle est très usée par le temps [9] », mais on ignore si cette date correspond à une construction ou à une restauration.

Extrait du grand routier de Pierre Garcie dit Ferrande

Ce texte est protégé par la législation sur les droits d’auteurs. Seuls sont autorisées les courtes citations à condition de citer l’auteur et la source.

Page 3