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L’abbaye de Saint-Michel-en-l’Herm
L’abbaye de Saint-Michel-en-l’Herm avait été transmise par Guillaume Fier-à-Bras, comte de Poitou (935-995) à Aimery II, vicomte de Thouars, qui l’avait cédée à l’abbé de Saint-Florent de Saumur. Celui-ci l’avait alors transformée en un simple prieuré dépendant de son abbaye.
Guillaume V de Poitiers, dit le Grand (vers 969-1030), accède au pouvoir en 993 en devenant comte de Poitiers et, deux ans plus tard, duc d’Aquitaine, à la mort de son père. Pour s’affirmer politiquement et renforcer un territoire fragilisé, il décide de contrôler l’épiscopat et le monde monastique. Les abbayes sont pour lui des centres de pouvoir. Une réelle concurrence s’exerçant alors entre Poitou et Anjou pour le contrôle et le développement des monastères, il s’inquiète de voir ses vassaux s’orienter vers la zone d’influence angevine. Aussi, il décide de soustraire l’abbaye de Saint-Michel-en-l’Herm à l’emprise angevine en expulsant les moines saumurois qui en avaient pris possession. Mais ces derniers ne seront remplacés par ceux de Luçon qu’en 1037 et c’est son fils, Guillaume VI dit Aigret, qui lui rendra son titre abbatial en 1041, s’engageant également à construire un bourg et une forteresse [1].
L’origine du prieuré Saint-Étienne d’Ars
Lorsque le monastère de Saint-Michel-en-l’Herm retrouve son titre, en 1041, son élévation au rang d’abbaye ne peut se concevoir sans dotations importantes lui assurant une autonomie digne de son rang.
Les actes correspondants, comme tous les anciens titres de l’abbaye de Saint-Michel-en-l’Herm, ont été perdus, mais on peut raisonnablement penser que c’est à cette occasion que le duc d’Aquitaine donna à l’abbaye qu’il venait de rétablir, et qui lui appartenait, les trois îles. Cette donation ne s’effectua pas en toute quiétude ; les seigneurs de Châtelaillon, s’estimant aussi suzerains des terres d’Ars, de Loix et des Portes, n’acceptèrent pas d’en être privés par le duc d’Aquitaine. S’ensuivit un conflit qui dura jusqu’à la défaite d’Isembert II, fin 1131, qui fut alors contraint de les rendre, perdant aussi la suzeraineté de la famille des Châtelaillon sur l’île de Ré [2].
Pourtant, aux yeux des contemporains, cette donation pouvait apparaître peu importante, car les alluvionnements marins n’avaient pas encore relevé suffisamment les fonds de la mer intérieure, que nous appelons aujourd’hui le Fier d’Ars, pour permettre d’y établir des salines. Par contre, l’isthme ouvert entre l’île d’Ars et celle des Portes s’était considérablement rétréci et était en voie de comblement présageant une fermeture complète, qui aura lieu au XIe siècle, créant une baie abritée. Si l’on n’avait pas encore construit de salines sur l’archipel rétais, il existait néanmoins des marais salants dans la région proche. En effet, l’abbaye de Noirmoutier possède des marais salants dès le VIIe siècle et, au IXe siècle, les chartes aunisiennes et saintongeaises multiplient les références aux salines [3] et aux vignes, signe de l’intérêt porté à la mise en valeur des franges littorales par les grandes abbayes, qui se constituent alors d’importants domaines fonciers : Saint-Michel-en-l’Herm, Saint-Cyprien de Poitiers, Nouaillé, Saint-Maixent, Saint-Jean-d’Angély, Notre-Dame de Saintes… Chaque abbaye possède des surfaces de salines importantes.
Les grandes communautés ecclésiastiques, propriétaires des seigneuries insulaires, ne pouvaient donc ignorer la source potentielle de profits très importants que représentaient ces futurs territoires gagnables sur la mer. À la veille de la Révolution, malgré le déclin de l’abbaye de Saint-Michel-en-l’Herm, la richesse du monastère est considérable puisque sa valeur est estimée alors à 100 000 livres et que, sur ce montant, 60 000 livres environ proviennent de ses seigneuries d’Ars, de Loix et des Portes [4].
Comme le constate Jean Chapelot [5], la création d’un marais salant n’est pas l’effort plus ou moins individuel de paysans soucieux d’augmenter leurs surfaces cultivées et leur production agricole. Créer une saline est un gros investissement financier nécessitant une main-d’œuvre importante, accompagnée de spécialistes sachant conduire de tels travaux. De plus, le sel récolté est destiné au commerce et pour une vente au loin, notamment par voie maritime, ce qui nécessite l’organisation de réseaux de commercialisation.
Dans ce contexte, la mise en valeur des îlots rétais d’Ars, des Portes et de Loix, par la création de salines dans la première moitié du XIe siècle, n’a pu se faire que par un apport de population exogène, possédant un réel savoir technique. L’hypothèse la plus vraisemblable paraît bien être l’arrivée de familles poitevines implantées sur les domaines salicoles de l’abbaye de Saint-Michel-en-l’Herm où des salines étaient en exploitation depuis plus de deux siècles. Il est évident que les religieux de l’abbaye-mère ont voulu, dès cette époque, construire un prieuré leur permettant de gérer les terres dont ils étaient devenus propriétaires et mettre en valeur leur domaine par la création de marais salants tout en assurant leur protection contre les fureurs de l’océan.
Les nouveaux arrivants ont groupé et serré leurs logis le long d’étroites ruelles sans doute pour mieux les abriter, mais aussi pour pouvoir se porter mutuellement assistance, ce qui parait une nécessité. Les rares textes que nous possédons mentionnent l’insécurité du territoire insulaire. Même si l’on s’en tient aux seules mentions d’exactions perpétrées au XIIIe siècle qui nous soient parvenues, la situation est délicate : en 1263, le pillage du prieuré d’Ays (Aix ou Ars ?) par les Bayonnais et Biscayens, en 1292, Édouard Ier d’Angleterre se jette sur les côtes de l’Aunis
« comme en l’isle de Ré ou l’Anglois fit un tel desgast qu’entre les meurtres qu’il fit avec cruaulté de plusieurs personnes, il pilla et ravagea tout ce qu’il trouvé, gasta entièrement la païs, les rapines et dommages qu’il y fit estant innumerables et inestimables […] », puis en 1294 « [ils] mirent pied a terre es isles d’Oléron et de Ré, lesquelles ils pillèrent et saccagèrent entièrement [6]. »
Pour se défendre, le village d’Ars parait s’être constitué autour et à partir de son église, située au centre du bourg. Vers l’ouest, le parcellaire révèle une implantation concentrique plus ou moins nette des habitations, que souligne le tracé en arc de cercle de deux artères : la rue des Forges, au sud-ouest, et la rue Chanzy (dite autrefois de Genève), au nord-ouest ; tandis qu’à l’est et au sud de l’église, l’alignement parfait des façades parait procéder d’un stade ultérieur de développement de l’agglomération [7].
L’église d’Ars-en-Ré a conservé des parties du XIe siècle, notamment les trois murs de l’ancienne nef et trois étroites fenêtres (0,50 mètre). La minceur des murs gouttereaux (0,90 mètre), bâtis sans contreforts extérieurs, révèle l’impossibilité d’une voûte en pierre, une charpente en bois – probablement recouvertes de tuiles -, plus légère, étant préférée à la complexité d’une lourde voûte de pierre [8].
Cette première église, encore parfaitement discernable, avec une surface intérieure d’environ 70/80 m2, pouvait facilement accueillir une centaine de personnes qui écoutaient la messe debout, correspondant à un noyau de population primitif d’environ 50 familles. Comme le veut la règle, en Occident, le chevet (la partie la plus sacrée, le chœur, le déambulatoire et l’abside) est orienté vers l’est, vers l’Orient, en direction de la lumière symbolisant le christ, le Ciel et la Vie. Tandis que, symboliquement, l’ouest évoque les Ténèbres et la mort. Au Moyen-Âge, ceux qui n’étaient pas baptisés, ainsi que les catéchumènes, n’avaient pas le droit de dépasser le narthex ; ils ne faisaient pas encore partie du Royaume de Dieu, ils étaient encore dans les ténèbres.
Dans une construction, le mur gouttereau est le mur portant une gouttière ou un chéneau terminant le versant de toiture et recevant les eaux par opposition au mur pignon.
Le narthex, appelé parfois avant-nef, vestibule ou antéglise, est un portique interne aménagé à l’entrée de certaines églises paléochrétiennes ou médiévales. Lieu qui fait transition entre l’extérieur et l’intérieur, le profane et le sacré, c’est un espace intermédiaire avant d’accéder à la nef proprement dite.
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