Les tirailleurs sénégalais et le naufrage du Sequana
Promeneurs, visiteurs de notre cimetière d’Ars, vous êtes-vous posé la question, que peuvent bien faire ces cinq tombes de Tirailleurs Sénégalais, ici, à côté de nos poilus casserons ?? La réponse est dans les archives de la Marine Nationale.
Ces cinq malheureux africains ne sont pas Sénégalais mais Maliens (anciennement Soudan français) et Burkinabés (anciennement Haute-Volta). Ils appartiennent au 90ème Bataillon de Tirailleurs Sénégalais.
Souvenons-nous que durant cette première guerre mondiale, environ deux cent mille Tirailleurs Sénégalais sont recrutés sous le drapeau français, cent trente cinq mille combattent en Europe, trente cinq mille périssent à côté des poilus de métropole.
Le 28 mai 1917, quatre cents tirailleurs sénégalais, avec 166 autres passagers civils et du fret, embarquent à Dakar sur le paquebot mixte « Séquana », pour Bordeaux. Le personnel de bord est composé de 99 officiers et marins et son Commandant est le Lieutenant de vaisseau E. Prudenti. Au total 665 personnes sont à bord.
Les ordres de route sont communiqués au Commandant une heure avant le départ. : « Passer à une distance d’au moins 200 miles du cap Finistère, faire route ensuite de manière à passer à un mile et demi dans le SW de l’île d’Yeu, puis faire route sur les bouées d’observation situées à 8 miles à l’ouest du phare des Baleines ». Le 7 juin, alors que le Séquana fait route vers le sud de l’île d’Yeu, le télégraphiste Barreau capte dans la matinée les SOS émis par le vapeur Niagara en train de sombrer. Le 9 juin, le patrouilleur « Sauterelle » ne recueillera que trois survivants à son bord.
Il est 3h du matin, le 8 juin, la mer est calme et le halo de la lune est légèrement atténué par les nuages. Le Séquana se trouve à cinq milles au sud de la pointe des Corbeaux et fait route à une vitesse de 11 nœuds au SSE, lorsque soudain l’enfer se déchaîne. Une violente explosion déchire le sommeil des passagers endormis. Une torpille vient de frapper le vapeur à tribord, au niveau de la cloison séparant la chaufferie de la soute à charbon avant, tuant sur le coup deux chauffeurs, le cambusier et un soutier sénégalais. Sous la violence du choc, le commandant pense que son bâtiment va sombrer rapidement. Il donne l’ordre de faire stopper les machines et ordonne l’évacuation….. Pendant ce temps, les officiers et gradés du détachement de Tirailleurs Sénégalais s’efforcent de faire comprendre aux soldats qu’il faut prendre place sur les radeaux de sauvetage. Seulement, un grand nombre de ces soldats ne parle pas un mot de français. Beaucoup parlaient un dialecte : le Mossi. Totalement perdus, certains montent dans la mâture, d’autres cherchent à entrer dans leurs cabines, mais bon nombre d’entre eux demeurent prostrés dans les coursives. Serrés les uns sur les autres, ils restent là jusqu’au dernier moment ; 198 tirailleurs trouvent la mort durant ce naufrage. Le Séquana coule à 3h30, en chavirant sur bâbord, soit 30 minutes après avoir été torpillé.
Le sous-marin fait surface dix minutes après s’être assuré qu’il n’y avait plus aucun danger, pour constater sa victoire. Il arraisonne le canot n°3. Son Commandant interroge Octave Baudon, officier de quart afin qu’il lui indique le nom du navire, sa jauge nette et le nombre de passagers.
De nombreux passagers sont recueillis par deux navires de pêche venant de l’île d’Yeu, les autres accostent sur la plage des Vieilles. On dénombre 207 disparus : 198 tirailleurs, 6 membres d’équipage et 3 passagers.
Les corps des 198 tirailleurs ne disparaîtront pas tous. Certains vont dériver vers les côtes se situant vers l’Est du lieu de naufrage : 5 sur la commune d’Ars, 1 sur la Couarde, 6 au Bois-plage, 2 sur l’île d’Aix, 1 à Fouras, 29 à la Rochelle, 4 à St Denis d’Oléron, 4 à St Georges d’Oléron et 2 à St Pierre D’Oléron.
« Le Soldat rétais » du 1er juillet 1917 mentionne que « les 26 et 27 courant [juin] 4 cadavres de sénégalais ont été trouvés sur notre côte. Il n’y a aucun doute que ces sinistres trouvailles dénotent un nouveau crime des sous-marins allemands ».
Germaine NEVEUR, parmi ses souvenirs d’enfance, se rappelle que sa mère lui racontait qu’un jour, allant ramasser du sart à Radia, elle retrouva un cadavre enroulé dans du varech.
Chaque commune a inhumé ses Tirailleurs Sénégalais avec ses « Enfants morts pour la France ».
A Ars, la cérémonie d’inhumation fut précédée d’un appel du premier magistrat de la commune à ses concitoyens : « le maire [le Docteur MEJASSON] a l’honneur de faire connaître à la population que l’inhumation des deux soldats sénégalais trouvés hier à la côte et provenant d’un torpillage de navire, aura lieu ce soir [26 juin 1917] à 6 heures. Il invite ceux qui le peuvent à assister aux obsèques de ces braves venus de leur pays lointain pour combattre à côté des nôtres et qui sont morts pour la France ».
Les tirailleurs d’Ars :