Le Grand Nouron

L’écluse avait été abandonnée depuis la guerre 1914-18.

Sur la photo ci-dessous, datée d’avril 1974, nous voyons une partie de l’équipe des détenteurs du Grand Nouron. Claude Bégou, le plus jeune sur le cliché, raconte qu’ils viennent de colmater une brèche, fiers et heureux du travail accompli avec pour simples outils des pelles, des pioches, des gros marteaux et surtout leurs mains, sans gants.

Cette écluse était particulièrement exposée aux tempêtes hivernales. Il fallait reboucher les brèches en urgence. C’était dans ces moments difficiles que se retrouvait l’esprit d’entre-aide qui animait  nos anciens et faisait leur force. Ainsi Julien Rault, Georges Pajot guidaient de leurs conseils avisés l’appareillage des pierres. Marcel Héraudeau avait été nommé chef de chantier :

Georges Pajot était fort comme un turc. il a porté seul la pierre de voûte et l’a posée tout seul sur le haut du coué »..

On n’utilisait jamais de pierres roulantes, aux angles arrondis, elles n’accrocheraient pas dans le mur. Il fallait en extraire de nouvelles, dans la banche, ou aller en chercher parfois très loin.

L’équipe du Grand Nouron avait construit un radeau pour haler les plus grosses à marée montante. Fernand Pajot se rappelle

Eugène Cailleteau avait failli couler avec ce radeau. C’était folklorique .

Les murs, souples et solides, étaient bâtis en pierres sèches, sans liant. À l’extérieur, elles étaient calées les unes contre les autres, le milieu de la construction était rempli de cailloux, « le gabion ».

Le haut du mur doit être parfaitement horizontal sur toute sa longueur, s’il présente des creux, il se produira un courant violent. Le poisson porté par ce courant s’enfuira.

Pour déterminer le niveau du mur, Marcel Héraudeau nous confie

Je reculais de vingt mètres à l’intérieur et je prenais la ligne dhorizon de la mer comme point de repère. C’est comme ça que je faisais le niveau .Le jour où on a fermé l’écluse, on a mis une balise (mât en bois)et on a vidé une bouteille de pineau. C’était du boulot à faire tout cela ! 

Le mur ploie sous la vague pour diminuer la propagation de l’onde. Les fortes poussées de la houle peuvent atteindre, dans les tempêtes, une poussée de 20 tonnes par m2.

Le Grand Nouron est considéré comme une très grande écluse, une des plus élevées. Sa construction a durée neuf mois.

Section du mur : Dans la fonte 2,60 m de haut, 9 m de large. Bras : 3 à 4 m de large pour l’un, 4 à 5 m pour l’autre. Longueur du mur : environ 700 m. Volume du mur : environ 4400 m3, volume considérable de pierres manipulées à la main.

Son emplacement permettait d’y accéder à chaque marée basse, quel que soit le coefficient. L’équipe était constituée de douze individus, soit deux personnes tous les six jours allant à la pêche aux basses mers, une fois de marée de jour, une fois de marée de nuit. Cette alternance de jours, qui se décalaient au fur et à mesure, permettait à tous de profiter des différents coefficients. C’est la mer qui commandait.

Les détenteur du Grand Nouron en 1974

Dans les années 1975, à la suite de plusieurs tempêtes, des brèches se sont ouvertes. Le vieillissement de la population, l’exode rural entraînent une diminution importante de la main­ d’œuvre, des jeunes disponibles pour colmater ces trous.

Les touristes, l’été, grattent entre les pierres des murs, à la recherche de crabes et d’huîtres. Ils accélèrent le processus de destruction et provoquent ainsi des brèches l’hiver. Le poisson se raréfie, il a souvent le goût de mazout, les bateaux dégazant au large. On retrouve de plus en plus de galettes de mazout sur les plages.

Les anciens sont obligés d’abandonner, le cœur gros.