Dans le tambour 68 monsieur Claude Rabanit racontait sa visite du musée Perrier. A l’occasion des journées du patrimoine des 19 et 20 septembre 2009 il avait exposé 7 maquettes dont celle du musée Perrier dont il avait reconstitué l’intérieur.

En Juillet 1936, mon père Henri Rabanit visita le Musée d’Ars pour la seconde fois en compagnie d’un ami anglais qu’il avait connu avant 1914 à Tanger.Très sportif, mon père, qui était alors le directeur de l’agence Havas de Tanger, y avait fondé le Stade Marocain et jouait beaucoup au tennis (comme en témoignaient des piles de clichés sur verre dans les penderies du domicile familial!). Monsieur Hoare venait très souvent, depuis Gibraltar, disputer des rencontres en compagnie de quelques amis Anglais,dont l’un se nommait Lenglen et venait avec sa sœur Susan.

La visite de cet ami britannique à l’île de Ré ne fut pas banale:il  fallait alors retenir si longtemps à l’avance une place pour sa voiture sur le chaland tiré par un vapeur de la Rochelle à Saint­-Martin…

Il arriva, l’année du Front Populaire dans une luxueuse Bugatti jaune et noire, intérieur cuir rouge,un coach Ventoux,type 50!

Pour nous autres, famille de quatre enfants ayant juste un vélo de location par tête pour les vacances à La Couarde, la magie d’être transporté dans une telle merveille fut inimaginable… Il n’existait alors que peu d’automobiles sur l’île, et l’étroitesse des routes, bordées de chaque côté d’un orme tous les dix ou douze mètres, demandait une certaine prudence.

Ce jour là, j’avais alors douze ans, je faisais partie de la visite projetée depuis l’année précédente. Après que mon père fut allé quérir la clef chez Madame Blanchard place de la Chapelle, Monsieur Hoarn rangea sa superbe voiture devant le Musée Perrier, sous la garde d’un homme(armé d’un bâton!) se méfiant d’une possible réaction des « congés payés » devant un tel luxe… Suivant mon père et son ami d’Outre-Manche dans le musée, on ne pouvait que constater les irréparables dégâts dus à l’ abandon du local, ce que mon père avait déjà constaté en 1929 ou 1930, lors de sa première visite.

Les verrières cassées en de nombreux endroits laissaient couler la pluie le long des quatre murs garnis, au touche à touche, de tableaux, dessins, gravures, avec de nombreux espaces  vides d’où avaient été retirées des œuvres: beaucoup étaient dans un bien triste état. Il me souvient de morceaux de toiles pendant de leur cadre, de gravures dont le papier était gonflé d’humidité, de nids de moineaux derrière les cadres, de fientes d’étourneaux un peu partout, du vélum en lambeaux et du gréement du baleinier garni de toiles d’araignées. En fait il semblait bien qu’aucun vrai travail d’entretien de l’intérieur n’ait jamais eu lieu depuis le legs de Jules Perrier en 1904, le musée ne fut ouvert au public qu’en 1908. En cette année 1936, des travaux avaient été effectués pour des raisons de sécurité ,mais sur la seule façade.

Grace à la regrettée Fernande Cazavant ,j’ai pu photocopier le catalogue de 1908 et l’intéressante liste des objets et tableaux au nombre de 960, et qui sont restés durant plus de quarante ans exposés au public et…aux intempéries.

Parmi les œuvres figuraient quatorze peintures de Gustave Courbet et sept de Camille Corot, peintes dans les environs de Genève, où étaient exilés ces deux communards français. Il y avait aussi une centaine de gravures de William Barbotin, treize tableaux de Ferdinand Hodler et soixante-quatorze d’Alexandre Calame, les deux plus illustres peintres suisses d’alors. Et aussi un supposé Rembrandt. Quelques unes de ces œuvres sont aujourd’hui visibles au musée de Saint-Martin ou chez quelques personnes en ayant fait l’acquisition lors de la vente aux enchères du 7 septembre 1952 où 166 lots sur les 960 du catalogue initial étaient proposés.

De nos jours encore, certains anciens laissent passer un ange quand on aborde le sujet des 804 œuvres disparues. Avant la vente aux enchères, un inventaire mené par un inspecteur des Beaux Arts n’avait pas décelé d’œuvres majeures. En 1970 Jojo Goumard m’a raconté qu’il avait récupéré un châssis encore entoilé , représentant « une espèce de barbouillis comme un coucher de soleil « …Jojo dixit. La toile récupérée lui avait servi à cacher un mur salpêtré; quant au châssis, il m’a dit l’avoir utilisé pour une cabane à lapins. Sic transit gloria Mundi ! (Ainsi passe la gloire du monde)