En juillet 1903, Emile Combes, président du conseil vint inaugurer le musée que William Barbotin avait ouvert au Phare des Baleines. Cet Article est paru dans le Petit Parisien du 25 juillet 1903 , disponible sur le site BNF-Gallica.

 

La laborieuse population de l’île de Ré est en joie : elle reçoit monsieur Combes, président du Conseil, qui vient visiter toutes les communes de l’île. Aussi de toute part lui a-t-on préparé un accueil chaleureux ; on a fait des guirlandes de fleurs et de feuillages, on a dressé des mats, on a établi des tentes, élevé même des arcs de triomphe. Le temps a manqué pour faire de belles décorations mais le cœur y est, tout le monde s’est mis à la besogne et le résultat est parfait.

L’île de Ré n’est pas très connue, les étrangers y viennent peu et s’il n’y avait pas la traditionnelle visite du phare des Baleines qui de ces puissants éclats blancs éclaire les dangers de la côte, bien peu nombreux seraient les voyageurs qui aurait parcouru cette étroite langue de sable dont l’altitude maxima est de 18 mètres et qui repose sur un banc rocheux qui, dans des temps fort anciens était relié au continent.

Cependant, l’île mérite d’être visitée, autant pour la beauté de ses plages que pour la singularité de son aspect. Elle a vaguement l’aspect d’un hippocampe dont la tête formerait la partie ouest et la queue roulée la partie est la plus rapprochée de La Rochelle. Elle a 28 km de longueur et sa largeur, très variable n’est que de 70 mètres au fond du fier d’Ars, baie intérieure que ne laisse qu’une étroite bande de terre ferme qu’une digue sans discontinuité protège du côté de la haute mer et dont les bords ont été transformés en marais salants.

Les produits de l’île

 L’industrie du pays n’est pas considérable et la population s’adonne surtout à la culture. Les habitants sont des agriculteurs pour la grande majorité et non des marins ; ils font pousser la vigne, qui couvre à peu près les deux tiers de la superficie de l’île et donne un vin léger qui serait fort apprécié s’il n’avait un goût de terroir résultant de l’engrais employé dans l’île, le varech, que l’on récolte après les tempêtes et dont on fait de gros tas mal odorant sur divers points de la côte et dans les champs ; on cultive aussi le blé, l’orge et l’avoine, dont le battage fait au milieu des rues des villages avec des instruments bien primitifs, e le fléau et le lourd rouleau de pierre que traine mollement un cheval.

Un autre des produits de l’île est le sel, qui s’obtient en faisant évaporer l’eau de mer sous l’action du soleil ; l’eau monte dans les marais au moment de la haute mer, passe à travers des chenaux, entre dans les nourrices, sorte de bassins où elle commence à s’évaporer et à se débarrasser de ses impuretés, et est enfin introduite dans les vrais marais, grands quadrilatères divisés en un grand nombre de carreaux peu profonds, séparés par d’étroits relèvements de glaise. L’eau sommeil tranquille dans ses carreaux ; peu à peu elle prend une teinte rose, c’est le sel qui monte à la surface, sel qu’on retire avec de grands râteaux sans dents et qu’on pose ensuite suite sur des berges, ou on l’empile en tas qui, de loin, ont l’aspect d’immenses bonnet de coton blanc

Sur la côte, regardant le continent, on parque les huîtres ; l’huître indigène tend à disparaître, mais l’huître portugaise y est très vivace et le commerce en fait l’île de Ré est important.

L’industrie est peu variée dans l’île, mais c’était celle des anciens, comme disent les habitants, et on s’en tient un peu trop à la tradition. Les moyens de la culture moderne pénètrent difficilement ; en outre leur adoption présente bien des difficultés. Il n’y a peut-être pas au monde un pays ou la propriété soit aussi divisée. Dans l’île les héritages se partagent complètement ; on ne répartit pas les pièces de terre entre les héritiers, on les partage chacune en autant de lots qu’il y a d’enfants ; il y a des lots qui ont à peine quelques mètres carrés de superficie.  Quelle entrave pour la culture ! Quelle perte de temps pour le cultivateur qui possède des pièces de terre d’une aussi petite contenance et qui sont parfois distantes les unes des autres de plusieurs kilomètres.

Mais la population est laborieuse, les hommes, les femmes, les enfants travaillent, l’activité est continue, et si la richesse est rare, au moins la pauvreté ou plutôt la misère y a moins y est inconnue.

C’est cette population que monsieur Combes vient voir ; population forte intéressante par son ardeur au travail, il faut le dire aussi par son développement intellectuel ; bien longtemps avant la loi sur l’instruction obligatoire, le recrutement ne comptait pas de illettrés parmi le contingent des conscrits de Ré.

Le débarquement

 Monsieur Combes arrivé de Saintes à La Rochelle à 8h52, s’est rendu en voiture au port de la Pallice et s’est embarqué à 10h à bord de l’Émile-Allard, vapeur des ponts et chaussées. C’est par une pluie battante que le président du Conseil a quitté La Rochelle.

Le vapeur est passé par le Pertuis Breton, qui sépare l’île du continent, est venu aborder un minuscule abri construit par des ponts et chaussées à proximité du phare des Baleines, à l’extrême pointe ouest de l’île.

Au moment où le président du Conseil débarque, en compagnie du préfet de la Charente-Inférieure et de Mesdames Edgar Combes et Regnault, le temps pluvieux durant toute la matinée se met au beau point.

M Combes se rend directement de la plage au musée Barbotin, dont il préside l’inauguration.

Le musée Barbotin

C’est sur la bordure de la large voie qui conduit au jardin du phare que monsieur Barbotin, le graveur bien connu, a fait construire un musée, « le musée rétais »

Le musée se compose d’une construction d’aspect coquet dans laquelle est réservée une vaste salle ou sont exposées les œuvres du graveur et du peintre car monsieur Barbotin est également un peintre de talent.

  • Quel est votre but en organisant ce musée lui ai-je demandé.
  • Mon but ? m’a t il dit. Mais il est bien simple. Je suis un enfant de l’île ; j’adore mon pays et ses habitants, j’ai pêché comme eux ,j’ai travaillé la terre comme eux, et comme j’ai tiré et porté du sel. Je trouve l’île et ses habitants fort intéressants à tous les points de vue, comme paysage, comme travail, comme costumes, comme usages, et depuis dix ans je me suis appliqué à reproduire les scènes de la vie dans l’île.
  • C’est une c’est une tâche que je crois utile, surtout au moment où tout se transforme ; il est bon de garder un souvenir de ce qui demain ne sera plus. Quand la banalité aura tout envahi, on ne sera pas fâché de revoir ce qui était autrefois l’originalité du pays. Ce sera une leçon de choses.
  • Ah ! mon œuvre n’est pas finie ; on n’est pas toujours libre de travailler à ce que l’on veut faire ; on m’a fait des commandes, et j’ai été détourné de mon but ; aussi tout n’est pas complet, mes tableaux ne sont pas tous terminés, et j’ai dû pour remplir les vides mettre d’autres peintres que celles qui concernent spécialement l’île ; mais si toutes ces toiles ne sont pas faites j’ai pris mes études mes excuses.

L’aspect de la salle d’exposition du musée est charmant un grand panneau peint qui représente la coupe du blé à la serpe, en occupe le fond et est entouré de tableaux montrant les scènes de l’île.

M Combes a été reçu dans le musée par M Barbotin et plusieurs de ses amis, artistes comme lui, qui forment une petite colonie à Ars où chaque année ils viennent passer la belle saison.

M Charruyer, député fait l’éloge du peintre-graveur, que monsieur Combes félicite également.

Le phare des baleines

Le président du Conseil se rend ensuite au phare des Baleines où un lunch lui est offert.

Le phare, haut de 50 mètres est constitué par une tour octogonale en granit ; son système d’éclairage est alimenté par l’électricité, il a une portée de 26 miles (46 km) ; on accède à la lanterne par un escalier de 272 marches; c’est un feu tournant à 4 éclats blancs. La tour a été bâtie en 1854 ; à côté d’elle existe encore l’ancienne tour bâtie en 1679, qui sert aujourd’hui de magasin ; elle se tapisse de lierre épais qui l’enveloppera bientôt tout entière.

A une lieue de la tour, existe un autre phare construit en mer ; à côté du phare à terre et le sémaphore.

A travers l’ile

Il est 2h. Monsieur Combes monte dans un train spécial qui va le conduire dans les diverses communes de l’île. Le train suit la plage de la conche, pénètre dans les terres et arrive à la commune des Portes où le ministre est reçu par la municipalité à la gare.

Cette commune ne compte guère plus de 800 habitants et cependant son territoire est vaste ; mais il comprend de vastes marais et une grande plaine sablonneuse non cultivée. L’île a reçu 2 fois les visites de président de la République. Celle de monsieur Carnot en 1890 et de monsieur Félix Faure en 1898 ; une seule commune n’avait jamais été honoré d’une visite officielle, c’était celle des Portes ; aussi, est-elle très fière que monsieur Combes et bien voulu venir chez elle. La gare a été fort gentiment décorée de sapin et de mats soutenant des drapeaux. Des jeunes filles en costume local présentent au président des bouquets de fleurs des grèves.

Il nous faut signaler que la commune des Portes possède le plus vieil arbre de la liberté de France ; il a été planté le 14 juillet 1792 ; les plus anciens connus datent de l’année suivante.

La réception est terminée en quelques minutes et le train repart pour Saint-Clément-des-Baleines ; là aussi, réception par la municipalité et nouveau départ ; le train file, passe à travers les marais salants, semblant parfois courir sur l’eau ; quelques minutes de trajet on arrive à Ars-en-Ré, la seconde ville de l’île, comme importance. À la gare, monsieur Méjasson, maire d’Ars et conseiller général du canton, reçoit le président du Conseil sous une tente fraîchement décorée d’algues et de plantes marines.

Le train repart, il traverse la partie la plus originale de l’île ; d’un côté le fond du fier d’Ars, avec ses marais salants et ses parcs à huîtres, et de l’autre la digue qui protège l’île ; le terrain se rétrécit et bientôt semble se réduire à la route et à la voie de chemin de fer ; sur cette étroite langue de terre se trouve le fort du Martray, construit sur les plans de Vauban, qui fait face à la haute mer, et un peu plus loin un original moulin à eau situé tout au fond du fier et qui utilise comme force motrice le courant produit par la mer à sa montée et à sa descente.

Le train s’arrête encore, nous sommes à Feneau-Loix; c’est la gare de la petite ville de Loix, qui possède un port où peuvent venir des navires de 200 tonneaux; Loix pas voulu de chemin de fer parce qu’il craignait que la voie ferrée ne va concurrencer son transit par bateau elle regrette maintenant.

Dix minutes d’arrêt et nous repartons ; 10 minutes de trajet et nous arrivons à la Couarde. La Couarde est la station balnéaire de l’île, elle possède une magnifique plage du côté de la haute mer, et quelques centaines de baigneurs s’y rendent chaque année.

En quittant la Couarde, le train traverse la partie la plus riche de l’île, il court à travers d’immenses pièces de vigne, et arrive bientôt au Bois, nonm qui semble une dérision car aussi loin que le regard s’étend, on n’aperçoit pas un, sauf ceux qui bordent la route.

Du Bois, le train se dirige vers Saint-Martin, la place forte de l’île, la ville la plus importante par son commerce et son industrie. Le train contourne les fortifications construites par Vauban ; de loin on aperçoit une porte avec pont-levis ; l’architecture est très pure. Le train suit un instant les remparts puis s’engage sous la porte Toiras, passe entre des corps de garde du 17e siècle portant encore de vieilles inscriptions et laisse à droite la citadelle, dépôt des condamnés qui doivent être envoyés à la Guyane; Dreyfus, Brière y ont été enfermés. La citadelle date de la même époque que les fortifications de la ville.

Le train file dans les rues et aboutit à un gentil port sur le quai duquel a lieu la réception.

Saint-Martin est une ville forte intéressante au point de vue archéologique ; outre ses fortifications, elle possède une église datant du 12e siècle, mais qui a subi bien des vicissitudes ; détruite, brûlée il ne reste plus de l’église primitive qui était fortifiée, que quelques chapelles avec pendentif à la voûte, et des portes latérales encore armé de mâchicoulis.

De Saint-Martin, on se rend à la Flotte, la ville la plus animée, la plus gaie de l’île. Un large cours planté d’arbres conduit au port qui est très fréquenté. C’est sur le cours qu’a lieu la réception du président du Conseil. On quitte la flotte pour Sainte-Marie, le centre le plus peuplé qui compte plus de 2500 habitants, et enfin on arrive à Rivedoux où a lieu l’embarquement de monsieur Combes pour La Rochelle.

Des vivats saluent le départ du président du Conseil qui se rend à Saintes dans ses propriétés.