Cet article a été écrit par René Brunet dans le tambour numéro 37 paru en décembre 1993 et relate les deux épidémies de choléra de 1832 et 1834

L'épidémie de 1832

Dès avril 1832, le maire Louis Joseph BUTTON avait pris un arrêté de salubrité publique, nommé une commission municipale sanitaire et organisé un service d’urgence pour faire face au fléau dont rien ne pouvait entraver l’inexorable invasion.

Le 4 avril, il alertait ses administrés :

« Une effroyable maladie ravage depuis quelque temps l’Europe. Jusqu’à ce jour, elle avait épargné notre beau pays de France mais elle vient de se déclarer au centre de notre capitale. Il paraît qu’elle se compte surtout là où la propreté est négligée et qu’elle se marie avec les cloaques infestés pour avoir encore plus de force à moissonner le monde ».

 « Comme magistrat, je me dois tout entier au bonheur de mes concitoyens et sous ce rapport, ne rien négliger en tout ce qui peut contribuer à leur conservation ».

« En conséquence, j’invite les habitants à prendre avec bon esprit les mesures que je vais citer ci-après et ceux qui les refuseraient seront traduits en police sans ménagement :

  • Deux fois par semaine (mardi et samedi), les rues seront balayées partout ; les bourriers ramassés et portés aux lieux désignés pour cela ; on aura soin de jeter des seaux d’eau pour laver les ruisseaux et faciliter l’écoulement.
  • Défense expresse est faite de laisser sur aucun fumier, ni autre part que ce soit, les boyaux d’animaux et tripes de poissons, ces déchets restant sur la terre, au soleil principalement, se corrompent très promptement et contribuent à communiquer un air pestilentiel, il faut donc les enterrer profondément sitôt sortis du corps des animaux.
  • Dès samedi prochain, tous les écours dans l’intérieur de la commune devront être nettoyés en commençant par les parties hautes et lundi par les parties basses.
  • Mardi et jours suivants, les écours qui forment la ceinture de la commune devront être aussi nettoyés jusqu’à leur débouché à la mer.
  • Défense est rigoureusement faite de jeter dans les ruisseaux, les rues et les écours aucune saleté, tels que pots de nuit ou autrement comme eaux de morues trempées ou autres eaux gâtées ni même le sang des bestiaux.
  • Pour éviter autant que possible la perte du bled des propriétaires qui avoisinent ou bordent les écours, il leur est permis de jeter le bourbier sur le bord des chemins sauf à eux de le ramasser ensuite et le jeter sur les champs lorsque leur récolte sera ramassée.
  • Des rondes seront faites par moi ou par l’adjoint (Pierre CIEUTAT) pour voir et contraindre les retardataires ou insouciants.

« Je me plais à croire que tout le monde s’empressera à concourir à cette mesure de prudence, déclarant que, quoique très peiné d’être obligé à le faire, je sévirai rigoureusement contre les contrevenants ».

Le 22 avril, le CM désigna pour 3 mois une commission municipale de 10 membres (6 pour Ars et 4 pour les Villages) et répondit à un questionnaire sur l’organisation du service sanitaire duquel il ressort que :

la mairie est le lieu désigné comme centre pour les premiers soins,

  • Deux chirurgiens sont disposés à administrer les premiers remèdes et à donner des soins gratuits aux indigents,
  • Deux vastes et belles maisons inhabitées par la mort des propriétaires à Ars et une salle aux Villages recevront les indigents qui ne pourraient être traités à domicile, (Il semblerait qu’il s’agisse du vaste immeuble situé 6, rue de la Raffinerie à l’angle de la venelle du figuier, ancien magasin BANIÉE).
  • Parents et gens de bonne volonté (on n’en manquera pas) assureront le transport des malades dans ces salles d’asile,
  • Des femmes charitables et zélées au service de Dieu (nous n’en manquerons pas) feront office d’infirmières pour service des salles,
  • Un appel à la générosité publique  pourrait  produire 1 500 F sans compter les prêts de draps, couvertures et bois de Le CM votera les crédits nécessaires pour payer les dépenses reconnues par la commission sanitaire dont un membre restera en permanence de nuit comme de jour pour avertir le chirurgien de se porter de suite chez le malade qu’on lui aura signalé.

Devant l’ampleur de l’épidémie, le Préfet a adressé une circulaire très détaillée et nommé un médecin des épidémies dans l’île de Ré. Celui -ci réunit tous les maires, adjoints et commissions sanitaires du canton d’Ars pour s’entretenir avec eux des mesures à prendre pour enrayer le fléau.

Ainsi la fête du roi Louis-Philippe se limitera-t-elle à une prise d’armes de la garde nationale, à une grande messe et à arborer les couleurs nationales.

 Cependant les journées de juillet furent célébrées :  pavillon national , messe avec quête au profit des pauvres par trois demoiselles (accompagnées chacune par un capitaine de la garde nationale), distribution de 500 kg de pain, feu de joie, deux bals à Ars (ce qui donnera plus d’aisance, chacun sera libre d’aller à telle salle qui lui conviendra) et un aux Villages  : « Passons ce jour dans la joie et la belle union, ayons tous ensemble des sentiments de cordialité, conservons la tempérance pour éviter toute suite fâcheuse et affligeante et , par ce moyen, ôter prise à la cruelle maladie du choléra qui est si près de nous et nous menace : tenons-nous partout le plus proprement possible car c’est là où la malpropreté et la débauche règnent qu’elle se complaît ».

Le 27 août, M. Benjamin GERAIN, chirurgien d’Ars alerta le docteur POUTIER, médecin des épidémies : le 28 on a déjà dénombré 16 cas mortels, désormais le maire dut adresser journellement un état sanitaire au médecin des épidémies.

 Dès lors, il multiplia les appels angoissés, prodigua ses conseils et brandit ses menaces. 

Le 30 août. « Empêcher, arrêter cette situation désolante n’est pas en notre pouvoir, du moins, devons-nous tout faire pour n’avoir rien à nous reprocher ».

« Les temps secs qui viennent de se passer ont provoqué la décomposition de choses malsaines trouvées à la surface du sol. Les exhalaisons pestilentielles se sont répandues sur nous, se sont introduites dans nos maisons et jusqu’au lit de notre repos ».

 « Nous devons pratiquer tous les moyens pour diminuer les effets : enfouissons dans la terre tout ce qui peut porter ombrage à la propreté, vivons sobrement , point d’excès en aucun genre , la sobriété est le premier remède contre toutes les maladies épidémiques, ne mangeons pas de mauvaises choses : fruits pas mûrs, concombres et raisins en trop grande quantité mènent à des diarrhées mortelles. Écoutez bien ce que vous dit votre Maire, faites ce qu’il vous prescrit et vous verrez que vous vous en trouverez mieux ».

 « Le deuil de plusieurs familles et le chagrin presque général contrastent trop fortement avec certains impudents plaisirs que se donne la jeunesse, tel que bal dans ce temps-ci. En conséquence les bals publics ou de société soit de compérage ou de noces sont suspendus jusqu’à ce que l’amélioration sanitaire permette de les laisser reprendre ». (Ce qui aura lieu le 8 septembre).

 La maladie poursuivant ses ravages, le Maire s’efforça de rassurer ses administrés : « Il n’y a aucun risque à soigner les malades du choléra ; la seule règle à observer, c’est d’être propre partout sur soi et dans sa maison, enterrer tous les détritus, enfermer les volailles (trop de canards courent dans les rues et remuent la boue des ruisseaux, ce qui est puant et malsain ».

Le 9 septembre, une nouvelle commission sanitaire fut nommée et se mit tout de suite au travail : « Beaucoup d’entre vous jusqu’à ce jour avez été sourds et avez pour ainsi dire méprisé les exhortations paternelles de vos magistrats. En êtes-vous plus avancés et plus heureux aujourd’hui ? Non, bien certainement. Avaient-ils tort de vous recommander la tempérance et la propreté ? Vous en voyez aujourd’hui la preuve. La tolérance et la patience sont poussées à bout on en a abusé.

« En conséquence, les membres de la commission veilleront à ce que tout manquement à la propreté sera poursuivi en justice ».

Dès le 19 septembre, le Maire signalait que les registres de décès se remplissaient rapidement à tel point que « sur 134 décès qu’ils permettent d’établir, en voici 114 de portés, cette quantité ne suffira pas pour finir l’année » et demandait 6 feuilles supplémentaires. Ces prévisions pessimistes se révélèrent bien vite au-dessous de la vérité, puisqu’au 28 octobre il ne restait plus que 9 décès à pouvoir établir, d’où la nécessité d’un nouvel envoi de 8 feuilles.

Le 9 octobre, il s’adressait à M. le Préfet : « Le cruel choléra paraît persister dans notre malheureuse commune et nous a moissonné tous les jours quelques victimes ; la classe indigente étant particulièrement frappée. Nous sommes très anxieux, le froid va nous prendre, pas de couvertures chez les uns ; chez les autres pas même une malheureuse paire de chaussons à se mettre aux pieds. Ne serait-il pas possible d’obtenir des fagots pour distribuer à l’un ou à l’autre pour chauffer leurs boissons et leurs bains ».

Le lendemain, il adressait un rapport sanitaire très détaillé duquel il ressortait que « les égouts intérieurs sont des cloaques infestés et pestilentiels qui doivent disparaître ».

 « Il faudrait procéder à un plan de nivellement des rues par le moyen de ruisseaux, les eaux circuleraient jusqu’aux égouts extérieurs se déversant dans le  port. Le travail pourrait être effectué par la prestation en nature ; l’approche de l’hiver est le moment opportun car c’est le temps où les cultivateurs ont le moins de travaux pressants ».

Le 12 novembre, un conseiller municipal exposa que la cruelle maladie qui se passait dans la commune, donnait la preuve évidente de l’utilité ici des Sœurs de la Charité pour porter secours en tous temps aux malheureux ; qu’une maison très propice pour une semblable localité était à vendre en ce moment ; qu’il proposait à l’assemblée de voter les fonds pour en faire l’achat en payant à des termes déterminés  par année et dans 4  ou 5 ans.

Cette proposition longuement raisonnée n’a pas été appuyée par le CM qui a motivé que cette acquisition, tant pour l’achat que pour l’ameublement, pension aux sœurs, contributions locatives et réparations d’usage mènerait à une déboursée de 14 à 16 000 F, ce qui terrasserait la commune déjà bien fatiguée et dans l’impossibilité de supporter une telle dépense. (Il s’agit du couvent actuel. A cette date, la maison appartenait à une demoiselle THOUVET âgée de 92 ans, qui s’était donnée en rente viagère aux époux BOULINEAU-BRUNET. Ceux-ci réparèrent l’immeuble et en firent donation à la Congrégation des Filles de la Sagesse en janvier 1838).

 Dès la fin du mois, l’espoir commença à renaître et le 6 décembre le Maire signalait au docteur POUTIER « Nous avons encore quelques convalescents cholériques mais quoi qu’il en soit, il n’y a plus de danger ».

L'épidémie de 1834

Le 28 août 1834, le Maire alerta ses administrés :

« Le choléra morbus, ce fléau qui nous a attristés il y a 2 ans vie nt de réapparaître d’une manière inquiétante. Une femme de Rochefort venant à La Flotte y chercher des papiers de famille est débarquée à Loix, elle est allée à La Couarde et là, elle a porté secours à un ou deux cholériques ; elle est venue ensuite ici voir une connaissance ; le soir même, elle est tombée dans cette maladie et est morte le lendemain matin : le surlendemain, cette amie est aussi tombée, la malade a fléchi et la voici dans le coma ».

Le 2 septembre, il rappela ses conseils de propreté et d’hygiène alimentaire et annonça que des commissaires venaient d’être désignés pour s’assurer si le nécessaire était fait.

Le 7 septembre on enregistra 5 décès et le maire demanda au docteur POUTIER qu’il prévoit par précaution l’envoi de quelques couvertures et d’un mandat de 50 F pour frais de médicaments aux malades indigents.

 Et les ravages furent foudroyants : 16 décès (dont 8 enfants) le 15 septembre ; le Maire lança alors un cri d’alarme « Le tonnerre a définitivement éclaté, il n’est malheureusement pas douteux que d’autres décès auront lieu, nous sommes ici sans secours pour les malheureux ; le monde s’effraie, nous n’avons point d’hôpital comme chez vous, tout le monde est aux vendanges. Je viens de demander trois sœurs à M. le Préfet, elles nous sont indispensables. Un mandat de 100 F m’aurait été bien utile ; ici on ne trouve pas pour porter les malheureux même pas à faire un cercueil ».

 Les 2 chirurgiens GÉRAIN et NADEAU furent assistés par un 3° chirurgien M. GAUDIN qui assura le service des Portes. Les trois sœurs ont été reçues comme le messie espéré « elles sont accueillies partout comme un baume dans le cœur des malades et des familles. M. le Curé Pierre Marie CHEMIN s’est fait un plaisir de les héberger ».

 Deux autres sœurs furent demandées pour les Villages.

 Le 22 septembre, « Les nombreux malades et la position indigente de plusieurs d’entre eux fait qu’on ne peut plus les tenir en état de propreté. J’en appelle à votre générosité : que ceux qui peuvent prêter draps, chemises, torchons et autres linges les apportent à la mairie, il en sera pris un état exact. Le linge utile ne sera délivré que sur la demande des braves sœurs que nous possédons ou de Messieurs les ecclésiastiques ou de Messieurs les médecins ».

« Lorsque nous aurons le bonheur d’être délivrés de ce cruel fléau, le linge sera d’abord passé à une lessive expresse chez les particuliers chez qui il y aura été utilisé et ensuite passé à la lessive et remis aux propriétaires ».

« J’appelle aussi quelques braves femmes ou filles à se porter à la petite maison BIGOT pour donner la main à préparer les tisanes, bouillons et autres, tout ce qu’il faudra y sera transporté par mes soins ».

Malheureusement, le 4 octobre, M. GÉRAIN s’est alité et M. GAUDIN n’est pas vigoureux ; les sœurs font tout ce qu’elles peuvent mais elles ne suffisent pas, l’intensité de la maladie est plus forte qu’elle n’a jamais été, il faudrait de toute urgence que plusieurs membres de la faculté nous fussent envoyés pour lutter de leurs talents et de leur courage contre ce fléau qui nous écrase.

Le 8 octobre, vu que les fossoyeurs sont harassés et qu’il y en a même de malades, le Maire fait appel aux hommes de bonne volonté pour aller leur donner la main, il traitera avec eux à des conditions qui seront généreuses. Il n’y a pas de crainte à avoir, l’on fait maintenant les fosses là où il y a plus de 20 ans que l’on a enterré.

Le 19 octobre, nous en sommes à 433 morts dans le cours de cette année et le Maire doit réclamer 50 feuilles d’état-civil de décès.

Aussi, vu la cruelle maladie qui nous afflige et prenant en considération le nombre de corps mis dans le cimetière et dans l’intention de prévenir un nouveau mal par les exhalaisons qui pourraient avoir lieu il sera fait des réquisitions de chevaux pour aller chercher du sable au lieu qui sera indiqué pour être versé dans le cimetière afin d’épaissir les couches de terre. Chacun est donc prévenu de se tenir sur ses gardes et d’obéir aussitôt que le commandement en sera fait.

 Enfin… !

Le 7 novembre. Le Maire prévient ses concitoyens que ceux, à qui il a été prêté des couvertures et du linge pour les secourir dans la cruelle maladie qui vient de nous affliger tous, doivent s’occuper de bien les laver pour en faire de suite remise à la mairie afin de les restituer à ceux qui ont eu la générosité de les prêter.

Il avisa aussi les fournisseurs de dresser consciencieusement leurs mémoires et de les lui présenter de façon à aviser au moyen de les faire payer.

Il invita ceux qui ont eu le malheur de perdre quelqu’un des leurs dans la désolante maladie qui vient de se passer parmi nous à s’occuper de payer tout de suite les malheureux porteurs de corps, salaire qui leur est bien légitime.

Il souhaite que chacun s’empresse de s’acquitter et, par ce moyen, lui éviter la tâche bien pénible de les y contraindre.

 Mais ce n’est que le 12 novembre que le Maire put exprimer son soulagement : « Depuis quelques jours l’impitoyable maladie qui nous ravageait vient enfin d’abandonner ma commune, on commence un peu à respirer quoiqu’il y ait encore des souffrants convalescents ».

Dans la réunion du 28 décembre, le Maire informait le CM que le montant des dépenses engagées dans cette affligeante circonstance s’élevait à 1 933,30 F mais qu’il fallait attendre de connaître la somme que le département pourrait donner avant de voter le chiffre réel.